Lorsqu'en 1638, La Jonchette, gouverneur d'Epinal, vint à la tête de troupes françaises, détachées de l'armée de Turenne, mettre le siège devant Remiremont, il répétait volontiers que cette place, dépourvue d'artillerie, était d'une capture facile et que si, par impossible, les bourgeois s'obstinaient à la défendre, il ne faudrait pas six heures pour s'en emparer: « Cette bicoque, disait-il par dédain, n'attendait que le canon. »
Joyeux à l'espoir du succès, il avait établi son camp sur le haut Parmont qui domine Remiremont et se riait bruyamment de cette pauvre garnison, composée de bourgeois et de trente soldats mal armés, dont il pouvait de son poste observer les mouvements.
Bientôt le siège commença. Le 2 juillet, vers les trois à quatre heures du matin, le canon retentit, tandis qu'aussitôt résonnaient à Remiremont toutes les cloches des églises et beffrois qui, d'un glas précipité, annonçaient l'audacieuse entreprise de l'ennemi. Et la résistance s'organisa.
Le marquis de Ville commandait aux soldats; Raulin, lieutenant de Monsieur le Sénéchal, aux bourgeois; mais, sans crainte du danger, l'abbesse elle-même, Madame la princesse Catherine, fille du duc Charles III, était demeurée dans la place et, comme un gouverneur, préparait la défense.
Dès le matin, Madame avait envoyé une croix sur les murailles, du côté des Capucins, où l'ennemi avait des avantages: cette sauvegarde, insuffisante déjà pour la garantie des églises, avait fait rire les Français; marchant en avant; ceux-ci étaient arrivés au pied des remparts et commençaient à battre la muraille. Deux fois repoussés, ils s'étaient obstinés et, faisant grand fracas, avaient ouvert une brèche large de vingt pas.
Une grande clameur s'éleva parmi la ville, car l'ennemi allait se précipiter dans la place.
En hâte, il fallait réparer la muraille: seuls, les bourgeois et la troupe ne le pouvaient, et le bruit courut que les femmes refusaient le travail.
Madame, alors, n'hésita pas. Accourant avec ses Dames qu'elle animait par son exemple, elle descendit elle-même au rempart : partout elle allait, bien qu'on tirât sans relâche, marchant parmi la ville et stimulant les courages avec autant de tranquillité qu'elle eût fait d'une oraison en son église.
Les femmes se décidèrent enfin. Apportant de la terre, des fagots, des meubles, leurs lits même, elles fermèrent la brèche sous un feu continu, sans qu'aucune d'elles fut cependant atteinte, et l'ennemi, lassé, s'éloigna des fossés, certains s'enfuyant par les pentes rapides du Parmont, d'autres se traînant, blessés, hors la place.
Vaincu par des femmes, humilié, mais non découragé, La Jonchette voulut, dès le lendemain reprendre l'offensive. Avant que le jour parut, il se rendit avec ses soldats à la porte de Neuviller, pensant escalader les remparts par surprise. Il put ainsi traverser le fossé sans obstacle, mais, arrivé au pied de la muraille, il fut contraint de demander la vie pour sa troupe, tant les Lorrains, subitement avertis, ruaient sur elles de grands coups. Raulin, qui commandait à cette porte, les fit tous prisonniers.
Madame voulut qu'on traitât les Français avec de grands égards, défendant qu'on en molestât aucun. Ayant reçu les officiers en son cabinet, elle exigea seulement qu'en l'église de Mesdames, La Jonchette seul fit amende honorable.
Le jour même, à l'heure qui fut fixée et qu'un héraut avait proclamée par la ville, un grand concours d'hommes, de femmes et d'enfants remplissait l'église du Chapitre : Madame, sur son trône garni d'or, présidait; Mesdames, en manteau d'hermine, priaient dans le chanceau, cependant qu'en grande révérence avait été placée sur l'autel, éclairée par mille cierges, la châsse de Monsieur saint Romaric, puissant protecteur de l'Eglise. Alentour, les chanoines psalmodiaient leur antienne Pastor clemens Romaricus, Dei servus, et le recueillement de la foule était profond, lorsque, par la porte de la ville, on introduisit La Jonchette sans escorte.
Se dressant d'une noble prestance, le gouverneur d'Epinal se dirigeait lentement parmi le chœur où, par humiliation, il devait s'incliner en priant Dieu, lorsqu'on le vit, arrivant devant l'autel, continuer son chemin et tourner la tête à l'opposé du Corps Saint.
Un long murmure, que modéra seule la révérence du lieu, s'éleva aussitôt dans l'église, car l'on ressentit de suite le scandale et l'outrage, mais, presqu'au même instant, un émerveillement inouï succéda.
Atteint subitement d'un douloureux torticolis. La Jonchette, sous tant de regards curieux, faisait de vains efforts pour retourner la tête, ne pouvant la mouvoir.
Alors, devant le châtiment divin, la foi se fit plus reconnaissante encore et des chants triomphants s'élevèrent vers le ciel, tandis que La Jonchette, fort marri et ne pouvant maîtriser son effroi, s'inclinait dévotement devant l'autel. Il fit vœeu, pour que la liberté de sa tête soit rendue, d'entretenir à toujours dans l'église, un cierge allumé.
Le miracle se fit et, on le sait bien ici, longtemps, pour rappeler ce prodige mémorable, l'engagement fut tenu.
«Le Cierge de Jonchette », on le nommait ainsi, brûla en l'église collégiale de Remiremont jusqu'en 1793. Ce fut Chamaca, l'impie Chamaca, qui, à la Révolution, pénétrant dans l'antique basilique avec une foule plus étonnée qu'hostile, souffla ce cierge votif, éteignant, sans s'en douter, avec lui, la tradition du plus glorieux passé.