Il est peu d'habitants de Gérardmer qui ne tentent, au moins une fois dans leur vie, l'ascension du Hoheneck, la montagne la plus élevée des environs.
Tout en foulant l'herbe parfumée des hautes chaumes, l'excursionniste peut se faire conter par les schlitteurs la légende du charbonnier du Hoheneck.
Voici cette légende telle que nous l'a contée, près de la Fontaine-de-la-Duchesse, un bûcheron nonagénaire, telle que l'a contée aussi, avant nous, Henri Berthoud.
C'était en 1814, en Janvier, lors de l'invasion des alliés. Un détachement de Cosaques pilla la cabane où vivait le charbonnier du Hoheneck, et tua sa mère et ses trois enfants. Il était absent avec sa femme, lors de cette catastrophe. En voyant, à son retour, ces quatre cadavres et la ruine de tout ce qu'il possédait, il voulut se venger et sauta sur son fusil. Ils sont vingt-deux, dit la femme, tu ne pourras en tuer qu'un, deux tout au plus; laisse-moi faire, je les tuerai tous. Pendant que tu enterreras ma mère et mes trois enfants, je les vengerai.
Elle récolta, dans un panier, des légumes échappés au pillage, y joignit des racines d'aconit qu'elle alla cueillir dans les ravins du voisinage, et, se dirigeant vers le campement des Cosaques, elle fit si bien que, tout en simulant une grande peur, elle fut arrêtée par eux et conduite au poste, où ils avaient allumé un grand feu et où on préparait à manger.
Feignant une résignation parfaite à son sort de prisonnière, elle s'offrit comme cuisinière et versa dans la marmite ses légumes.
Après quelques heures de cuisson, elle servit elle-même la soupe aux soldats, et s'esquiva aussitôt. Le lendemain, au point du jour, elle conduisait son mari sur la montagne. Il y avait vingt-deux cadavres raidis par la gelée et gisants sur le sol!
Avec les armes et les munitions de ces soldats, le charbonnier et sa femme, en embuscade dans la montagne, continuèrent à venger le meurtre commis par les Cosaques.
Avant la création de la route de la Schlucht, on montrait aux voyageurs un vieux sapin qu'il a fallu abattre, et qu'on appelait le livre du charbonnier. Chaque fois qu'il tuait un soldat ennemi, il avait soin d'entailler d'une large coche le tronc de cet arbre, et l'on en comptait soixante-seize !