La légende de la Croix Meyon [Gérardmer (Vosges)]

Publié le 26 juillet 2023 Thématiques: Alcool , Alcoolique , Croix , Fantôme , Humour , Origine ,

La Croix Meyon
La Croix Meyon. Source Vosges Matin
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Source: Géhin, L. / Bulletin de la Société Philomatique Vosgienne (1894) (2 minutes)
Lieu: Croix Meyon / Gérardmer / Vosges / France

Sur la route du Tholy, à mi-chemin du lac, il existe une vieille croix de pierre au socle branlant; les lichens l'ont marquée de leur incrustante végétation : c'est la Croix-Meyon. Elle porte le millésime de 1777; en voici la légende [...] (d'après THIRIAT) :

Il y avait au Beillard, vers l'hiver des trois sept (1777),
Le cuvelier Jean Méyon et sa femme Minette,
Qui auraient vécu heureux; seulement mon Jean Méyon
Avait le grand défaut d'être un peu trop ivrogne.
Quand il reportait ses cuveaux aux marchands du village,
Au cabaret, oubliant sa femme et son ménage,
Il semait tous ses sous sans se garder un niau (œuf que l'on met dans un nid pour engager les poules à pondre)
Et puis il revenait par les chemins trop étroits.
Quand sa femme le grondait et le traitait de vaurien,
Il ne l'entendait que d'un côté, et puis, de l'autre oreille,
Il écoutait si le vent emportait ses raisons,
Et de se griser de nouveau il était toujours de saison.

Minette voyant bien qu'elle n'en pourrait venir à bout,
D'un moyen plus hardi s'avisa d'essayer.
Un soir que son ivrogne était beaucoup ennuité,
Elle s'entoura le corps dans un grand blanc linceul,
Se mit sur la tête une lanterne brillante,
Attacha derrière elle une chaîne retentissante,
Et vers la droite du lac elle fut se poster.
Aux Xettes, à Ramberchamp, on ne voyait plus de clartés,
Il faisait nuit, comme dans le fond d'une chaudière.
Le vent dans la montagne erjanait (mugissement de la vache), beuglait des plaintes,
La chouette au fond des bois chantait un air de mort.
Au pied de la Roche-du-Cellier, au front menaçant et haut,
Qui n'est jamais visité que par l'oiseau des poules (buse, milan).
On entendait les flots noirs qui aboyaient à la lune.
Et la lune en courant le ciel épouvantée,
Cachait son blanc museau derrière les noires nuées...

Jean Méyon vers minuit sortit du cabaret,
Chancelant et ployant sur ses maigres jarrets.
L'eau-de-vie rend hardi ceux qui ne se soulent guère,
Mais chez les vieux ivrognes elle fait l'effet contraire,
C'est pourquoi notre grivois tressaillait au plus petit bruit;
En passant le Grippo il regardait autour de lui,
Quand tout à coup il voit à ses yeux apparaître
Un grand revenant tout blanc qui lui crie : « Arrête ! arrête ! »
Vous le pensez bien, tout retourna dans lui.....
A peine s'il put dire en criant éperdu :
« Que me voulez-vous? que voulez-vous? » Vilain soulard, je veux
Que tu changes de conduite et tu vas me le jurer
Aussi bien que de faire mettre une croix au droit du lac
Qui te fera toujours ici souvenir de ton serment. »
Meyon dit « Je vous le jure, » et ne vit plus rien que la nuit.
L'eau-de-vie dans son ventre avait éteint son feu,
Et ce ne fut pas sans mal qu'il regagna son logis.

Minette, on le devine déjà, était de retour avant lui.
Quand elle le vit s'asseoir aussi blanc que du fromage blanc,
Elle lui demanda tout vite s'il avait la colique.
« Non, dit-il, mais écoute-moi : C'est ce soir-ci la fin
De mes ribottes, c'est fini, je ne boirai plus de brandevin. »
Ce fut vrai. Il fit graver son nom et celui de sa femme
Sur la croix qu'il fit mettre où il avait vu le fantôme.
On dit que « qui a bu boira. Mais Jean Méyon,
Aussi bien depuis ce soir-là, cessa d'être un soulard,
Et ceux qui ne voudraient sur ma parole croire
Un fait si surprenant, aussi vrai qu'il est rare,
Une croix en pierre est là debout, pour leur prouver
Qu'une fois à Gérardmer le proverbe a menti.


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