Au temps jadis, le premier vendredi de la première lune qui suivait le dimanche de la Trinité, la forêt de Rapaille recevait, chaque année, la visite d'une fée. Il est permis de croire que l'on ne savait pas au juste le nom de cette fée, mais on la désignait sous celui de dame Agaisse, à cause d'un cri perçant, assez semblable à celui d'une pie (agaisse, dans la langue du pays), par lequel elle annonçait son arrivée. A ce signal, il n'était homme ni bête, insecte ni oiseau, ayant gîte dans la forêt, qui n'accourût pour rendre hommage à la fée, comme à sa souveraine. Les arbres eux-mêmes, toutes les plantes, depuis les plus humbles jusqu'aux plus superbes, inclinaient respectueusement le front devant elle. Il advint pourtant une fois que les chênes du « Hennefête » – c'est le nom de l'une des sections de la forêt – refusèrent net de remplir leur devoir. Dame Agaisse entra dans une violente colère, et on put, à plus d'une lieue de distance, tant elle élevait la voix, l'entendre parler ainsi :
« Ah! chênes orgueilleux, vous vous trouvez trop grands, trop beaux pour vous courber devant moi? J'aurai raison de vous, je briserai votre fierté. Vous étiez les géants de la forêt, vous en deviendrez les nains sur l'heure. Vous êtes beaux ? vous serez laids et difformes, et vous demeurerez ainsi tant que vous existerez. »
L'arrêt ne fut pas plutôt rendu qu'il fut exécuté. Bien que des centaines d'années se soient écoulées depuis lors, la malédiction de dame Agaisse pèse toujours sur les chênes du Hennefête. Dans la forêt verte et riante ils font une tache sombre. Tandis que tout, à côté d'eux, grandit, prospère, se renouvelle, ils restent petits, souffreteux, éternellement les mêmes, c'est-à-dire noueux, galeux, chauves, tortus, bossus, affreux enfin à effrayer le passant et à lui soulever le cœur.