La légende de la Tour aux Souris de Bingen [Bingen am Rhein (Rhénanie-Palatinat / Allemagne)]

Publié le 1 mars 2023 Thématiques: Animal , Avarice , Evèque , Famine , Incendie , Mort , Origine , Origine d'un nom , Punition , Rat | Souris , Tour ,

La "Mäuseturm" et le château d'Ehrenfels
Bodow, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Kiefer F.J. / Légendes et traditions du Rhin de Bâle à Rotterdam (1897) (4 minutes)
Lieu: Tour aux souris (Mäuseturm) / Bingen am Rhein / Rhénanie-Palatinat / Allemagne

Hatto, évêque de Fulde, aspirait au siège vacant de l'archevéché de Mayence mettant tous les ressorts en mouvement auprès de l'empereur pour parvenir à son but tant désiré. Il ne recula devant aucune espèce de subornation et fit tant que le choix le favorisa quoiqu'il y eût des candidats beaucoup plus dignes que lui.

Cette élévation ne fit que développer davantage son caractère dur et hautain, et il ne tarda pas à se montrer tel qu'il était farouche, cruel et tyrannique. Ses sujets pauvres sentirent principalement tout le poids de son bras. Il les accabla d'impôts excessifs pour élever des édifices pompeux et pour satisfaire son désir du luxe; il établit des octrois, imagina des charges nouvelles, comme si le pays n'avait dû servir que les caprices du maître.

C'est ainsi qu'il fit bâtir au milieu des flots écumants une forte tour en deçà de Bingen, à proximité du Trou de Bingen à l'endroit que saluent à la fois, des deux rives opposées, et les ruines d'Ehrenfels et le château de Rheinstein. C'est là qu'on devait forcer les bateaux à payer une taxe; le passage étroit à en cet endroit ne leur eût pas permis de passer outre impunément sans payer.

Peu de temps après la construction de cette citadelle, il arriva qu'une disette générale vint frapper les pays rhénans et surtout le diocèse de l'archévéché. Une terrible sécheresse avait brûlé les campagnes; la grêle et les insectes avaient, en partie, détruit le peu de germes qui s'étaient montrés; une famine générale était d'autant plus à craindre que Hatto avait acheté presque tous les grains restés de la dernière récolte, et qu'il les avait enfermés dans ses greniers. La famine tant redoutée envahit la contrée avec toutes ses horreurs, il y eut une misère extrême parmi la population indigente. L'archévèque, il est vrai, fit vendre de ses provisions, mais à des prix si élevés que peu de ses sujets purent en profiter. Les pauvres furent donc obligés de recourir à des aliments malsains qui causèrent des maladies lesquelles augmentèrent encore la calamité générale. Dans cette détresse les malheureux implorèrent et supplièrent leur prince. Ses amis et ses conseillers eux-mêmes insistèrent auprès de lui pour qu'il prît en pitié ses pauvres sujets; ils lui demandèrent de cesser de les opprimer, et de mériter plutôt le nom d'un père prêt à secourir ses enfants. Mais le tyran continua de vendre son blé aux prix les plus élevés, car il avait dessein de se bâtir un château superbe d'une dimension fabuleuse, et il lui fallait conséquemment de grosses sommes.

Les besoins croissants et la dureté de l'archévèque portèrent le mécontentement à son comble; déjà on en venait aux voies de fait, mais Hatto n'y opposa qu'un froid mépris et de nouvelles vexations.

Un jour donc, la foule affamée, hommes, femmes et enfants, après avoir vainement demandé du pain devant le palais de l'archévèque, pénétrèrent impétueusement dans les appartements où le prince était à table avec ses hôtes débauchés. Hatto reçut les malheureux avec une feinte condescendance, leur promit du blé et leur dit d'aller à une vaste grange, où ils trouveraient ce qu'ils désiraient. Heureux de cette promesse, les pauvres se retirent; mais à peine furent-ils dans la grange que le barbare fit verrouiller les portes par ses satellites, puis mettre le feu au bâtiment; et pendant que les victimes imploraient sa miséricorde et que les flammes leur arrachaient des cris de douleur, l'inhumain disait à son entourage: ,,Entendez-vous pépier les souris de blé! j'agis avec ces rebelles de même qu'avec les souris que je prends, je les brûle.“

Mais ces horreurs appelèrent la vengeance céleste sur leur détestable auteur. Des cendres mêmes de la grange incendiée sortirent des milliers et des milliers de souris dirigeant, comme un torrent dévastateur, leur course vers le palais; elles en remplirent tous les appartements et dans leur rage attaquèrent l'archévêque lui-même. Celui-ci eut beau s'en défendre, ses domestiques eurent beau les massacrer par centaines le torrent arrivait, arrivait sans cesse, et le scélérat commença à reconnaître qu'un juge plus puissant que lui s'était chargé de poursuivre le criminel. Abandonné de tous ses valets qui s'enfuirent saisis d'épouvante, Hatto se refugia sur un bateau afin de se soustraire aux poursuites de ses ennemis acharnés; mais en vain. Des légions de souris le suivirent lorsqu'il descendit le Rhin. Dans son désespoir il alla prendre terre à sa tour de barrage, croyant s'y mettre à l'abri de ses innombrables ennemis. Mais ceux-ci y abordèrent après lui, rongeant et perçant avec une vitesse incroyable les portes, creusant et minant des passages à travers l'épaisseur des murs, et atteignirent enfin l'objet de leur persécution.

Hatto succomba aux attaques des souris qui, par myriades se ruèrent sur lui, et ce ne fut qu'après l'avoir dévoré qu'elles se dispersèrent et disparurent.

Cette tour porte encore de nos jours le nom de tour aux souris. Personne n'en fait usage, personne n'y établit sa demeure; ses murs sombres à demi écroulés subsistent encore, comme monument d'un horrible forfait; et servent d'avertissement pour ceux qui se jouent de l'humanité souffrante.

La légende paraît plus indulgente si on fait des recherches sur l'histoire de Hatto, et d'après laquelle il est représenté en regent sage, mais comme prélat impérieux. L'empereur Louis et le duc Otto de Saxe eurent alors le gouvernement de l'empire et Hatto fut le confident de l'empereur, de manière qu'on l'appelait Caro Regis (cœur du roi). En qualité de Supérieur du clergé allemand et administrateur en chef de douze abbayes riches et puissantes, il devint en même temps le principal fondateur de cette puissance séculière que le siège épiscopal de Mayence avait acquise.

Il n'y a pas de doute que son caractère orgueilleux et despotique par lequel le peuple eut beaucoup à souffrir et que les inventions de ses puissants adversaires n'aient donné naissance à cette légende affreuse de la tour aux souris.

Aussi un exploit allemand eut lieu à cette tour. Lorsqu'en 1632 Gustave Adolphe vint au Rhin et qu'il voulut prendre la tour de Hatto, elle n'était occupée que de sept allemands, qui la défendirent si vaillamment, que la moitié des agresseurs restèrent sur la place. En vain les Suédois offrirent au dernier des sept héros le pardon; mais il se précipita du rocher dans le Rhin, en s'écriant: ,, Aucun pardon!"

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Source: Guerber, Hélène Adeline / Contes et légendes, tome 2 (1895) (4 minutes)
Lieu: Tour aux souris (Mäuseturm) / Bingen am Rhein / Rhénanie-Palatinat / Allemagne

Hatto, évêque de Mayence, était aussi riche qu'avare, et passait tout son temps, non pas à prier et à faire du bien aux pauvres, mais à augmenter sa fortune. Ses fermes étaient les plus belles de tout le pays, ses granges étaient toutes pleines du plus beau blé, et ses coffres-forts contenaient une multitude de jolies pièces d'or, que l'évêque comptait tous les jours.

Les autres personnes n'étaient pas aussi heureuses que lui, et il y avait dans ce temps-là beaucoup de pauvres qui n'avaient jamais assez à manger. Enfin arriva une mauvaise année; une inondation détruisit toute la récolte, et une disette terrible en fut le résultat. Les pauvres, qui n'avaient pas de provisions, souffraient cruellement, et ils étaient tellement affamés, qu'ils se rendirent enfin chez l'évêque pour le prier de les secourir.

"Monseigneur, vous qui avez tant de beau blé dans vos granges, donnez-nous-en pour nos femmes et nos petits enfants qui meurent de faim," dirent-ils.

Mais le prêtre, au cœur de pierre, écouta leurs prières sans s'émouvoir, et les renvoya sans leur avoir donné la moindre chose. Jour après jour, les malheureux revinrent, et jour après jour Hatto les renvoya, les mains vides, en leur disant que son beau blé était bien trop précieux pour servir de nourriture à des gens affamés comme des rats.

Malgré les refus journaliers du prêtre, les pauvres, sachant qu'il avait assez de grain pour leur fournir du pain à tous, continuèrent à entourer son palais nuit et jour, et à le supplier d'avoir pitié d'eux.

Fatigué de ces clameurs qui ne lui permettaient pas de dormir en paix, Hatto leur commanda enfin de se rendre tous à une grange vide, qui se trouvait en dehors de la ville, et il promit d'y aller à une heure dite, afin de leur donner de quoi les satisfaire et faire cesser toutes leurs plaintes.

Les pauvres, qui s'imaginaient qu'ils allaient enfin avoir à manger, se rendirent en toute hâte à la vieille grange, où ils entrèrent joyeusement, hommes, femmes, et enfants, pour attendre l'arrivée du prélat qu'ils bénissaient d'avance.

A l'heure indiquée, Hatto arriva, accompagné de tous ses serviteurs. Il s'arrêta devant la grange, mais au lieu d'entrer, il commanda à ses domestiques de fermer toutes les portes et les fenêtres, et de mettre le feu à la bâtisse. Les pauvres, qui n'avaient pas entendu cet ordre, pensaient à chaque instant que le prélat allait entrer, et quand il parut à la dernière fenêtre ouverte, ils crièrent tous "vive monseigneur."

Quel ne fut donc pas leur désappointement et leur horreur, quand ils entendirent ces mots, prononcés d'une voix aussi forte que cruelle :
"Vous êtes comme des rats, et vous allez tous mourir comme des rats, car j'ai fait mettre le feu à la grange pour me débarrasser de vous, et ne plus entendre vos cris perpétuels."

Quelques minutes après toute la bâtisse était en feu, les flammes montaient de plus en plus haut, et l'on entendait un concert épouvantable de cris de détresse, car les malheureux ne pouvaient s'échapper de leur prison et y furent tous brûlés vifs.

Les domestiques du prélat étaient pâles et tremblants d'horreur, mais Hatto contempla avec calme le massacre qu'il avait commandé, et quand les derniers cris avaient cessés, et que le toit embrasé était tombé, il rentra tranquillement chez lui, et soupa d'aussi bon appétit que d'habitude.

Pendant la nuit, cependant, son sommeil fut troublé plusieurs fois par des bruits étranges, comme si des rats ou des souris couraient dans la salle-à-manger, et y grignotaient quelque chose. Le lendemain matin il s'aperçut avec chagrin que son portrait gisait à terre en lambeaux, et qu'il avait probablement été mis en pièces par des rats, car on pouvait distinguer la marque de leurs dents.

Quelques instants après, un domestique accourut, en toute hâte, pour lui annoncer qu'il avait vu une multitude de souris et de rats, sortir des cendres encore chaudes de la grange brûlée, et que ces petites bêtes l'avaient suivi de près au palais, où elles venaient sans doute pour le dévorer. L'évêque Hatto, sachant qu'il avait commis un crime abominable, et que les rats et les souris étaient animés par l'esprit des pauvres malheureux qu'il avait si traitreusement tués, saisi d'une terreur subite, voulut s'échapper.

Il monta donc à cheval, et partit au grand galop, mais, malgré la rapidité de sa course, il s'aperçut bientôt, en tournant la tête, que l'armée de rats se rapprochait de plus en plus, et le rattraperait avant longtemps. Fou de terreur il descendit vers le fleuve, abandonna sa monture, et s'élançant dans un petit bateau, il rama de toutes ses forces vers une tour en pierre construite sur un rocher au milieu de l'eau. Il y arriva bientôt, s'y enferma à double tour, et se réjouit à la pensée qu'il avait enfin échappé aux dents aiguës des rats. Mais sa joie se changea bientôt en horreur, car il s'aperçut que les rats, après avoir dévoré son pauvre cheval, s'étaient jetés à la nage dans le Rhin, et que tous se dirigeaient vers la tour où il s'était réfugié.

Malgré la profondeur de l'eau et la force du courant, ces petites bêtes nagèrent si bravement qu'elles arrivèrent bientôt à la tour. L'évêque ferma le volet de la fenêtre, et se retira au milieu de la tour, mais même là il pouvait entendre le bruit des souris et des rats, qui grimpaient de tous côtés. Quelques secondes après, il les entendit qui commençaient à ronger le bois des portes et des fenêtres, et avant bien longtemps ils se frayèrent un passage et tombèrent sur lui tous à la fois. Malgré ses cris, malgré ses prières, l'évêque de Mayence fut mangé vif par les souris et les rats, et il ne resta bientôt plus rien que les os de ce méchant prélat.

Telle fut la punition de Hatto; et si vous ne croyez pas cette histoire, vous n'avez qu'à faire un voyage en Allemagne, et visiter le Rhin. Près de Bingen on vous montrera, au beau milieu du fleuve, une tour en pierre, qu'on appelle encore aujourd'hui la Tour de Hatto, ou la Tour aux Souris.


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