Le prince de Chimay avait eu un différend avec le sire de Couvin. Celui-ci, profitant d'un moment où le prince en chasse, était éloigné de sa suite, le fit enlever par ses hommes d'armes, emmener à Couvin et enfermer dans un cachot souterrain. Il fit jurer à ses hommes de garder le silence sur ce fait et le secret en fut rigoureusement tenu. Les mois et les ans se succédèrent et, si l'on avait quelque doute, rien ne vint les changer en certitude et le fait tomba peu à peu dans l'oubli.

Un pâtre qui gardait quelques chèvres près du château de Couvin s'était fait un petit arc d'une branche de coudrier et des flèches avec les jeunes pousses de cet arbrisseau. Il s'amusait à les lancer contre le rocher qui servait de base au château. L'une d'elles vint à disparaître dans une fente de la roche.

Le petit berger plongea sa main dans l'ouverture pensant la reprendre facilement; mais, tout à coup, il se sentit saisir les doigts par une main robuste en même temps qu'une voix sortant de dessous terre disait :
- "Ne craignez rien, ne criez pas, et écoutez-moi. Qui que vous soyez, votre fortune est faite si vous accomplissez ce que je vais vous dire. Et d'abord, qui êtes vous ? "
- "Un pauvre petit pâtre qui garde quelques chèvres; mais lâchez-moi et je vous écouterai; sinon je crie au secours. "
La main le lâcha.
- "Que voulez-vous ? "
- "Pouvez-vous me procurer de quoi écrire quelques lignes ?"
- "Attendez."
Peu après le pâtre revint à la crevasse et passant par l'ouverture un morceau d'ardoise il dit :
- "Avec une pierre voici de quoi écrire."
- "Merci. Attendez."

L'inconnu traça sur l'ardoise: "Je suis le prince de Chimay, prisonnier au château de Couvin après avoir été traîtreusement enlevé à la chasse par le félon seigneur de ce château. Faites tout pour ma délivrance. " Puis il signa et passant cette singulière missive par l'interstice du rocher, il dit au pâtre : " Il y va de la fortune pour vous et pour les vôtres si ces lignes parviennent le plus tôt possible à la princesse, qui habite le château de Chimay.

Le pâtre laissa ses chèvres et partit pour Chimay et, après quelques difficultés, parvint jusqu'à la noble dame à qui il remit son message.

La Dame faillit s'évanouir de saisissement et de joie. Des messagers furent envoyés dans les dix-sept communes de la principauté, à l'effet de réunir tous les hommes valides en armes, dans le moindre délai. Il s'agissait de la délivrance du prince disparu.

Tout le monde fit preuve de zèle et bientôt, une troupe imposante de solides gaillards fut réunie sur la place de Chimay et dans la cour du château. Les gardes forestiers dirigeaient les paysans.

On se mit en marche pour Couvin et le château sans défiance fut enlevé presque sans combat. Le prince fut délivré et ramené triomphalement dans sa bonne ville de Chimay. En partant il se retourna vers le château et lui montrant le poing s'écria :
"Couvé, couvé, tu m'as
Onc désormais ne couveras"
Peu de temps après, en effet, par mesure de représailles, le château fut démoli par les mêmes paysans qui avaient délivré le prince.

Pour récompenser ses fidèles sujets, le prince distribua à chacun des dix-sept villages, une partie de la belle forêt de Thiérache et de celle de la Fagne, pour que chaque famille eût son affouage pour l'hiver.