La légende de la mort du neveu du juge Herkenbald [Bruxelles (Région de Bruxelles-Capitale / Belgique)]

Publié le 29 février 2024 Thématiques: Assassinat , Jugement , Légende historique , Moral , Mort , Ruse ,

Herkenbald sur l'hotel de ville de Bruxelles
Herkenbald sur l'hotel de ville de Bruxelles. Source Michel wal, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Devogel, Victor / Légendes bruxelloises (1891) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Hotel de ville de Bruxelles / Bruxelles / Région de Bruxelles-Capitale / Belgique

Vers l'an 1020, sous le règne de Henri Ier, comte de Louvain, dit le Vieux, nommé aussi comte de Bruxelles, un crime affreux fut commis sur la personne de la fille d'un pauvre vieillard qui habitait notre bonne ville, appelée en ce temps Bruocsella, Bruohsella ou Brucsellæ, en flamand Brusele.
Le nom de l'auteur de l'attentat circula bientôt de bouche en bouche. Volontiers le dirais-je, mais il n'est point parvenu jusqu'à nous et, plutôt que de vous en donner un: Lambert, Daniel, Conrad, qui serait faux, je préfère me taire et écrire tout uniment: Je l'ignore. Toutefois, il est prouvé que le coupable était le neveu d'un des magistrats de la ville, nommé Herkenbald.

[...] Herkenbald était un homme magnifique, puissant et illustre. » Il jugeait nos pères avec tant de justice que pendant longtemps son nom resta synonyme de droiture. Pour lui, pas de différence entre un manant et un riche, entre les nobles et le populaire. « Il pesait dans la même balance la cause du riche et celle du pauvre, celle du parent et celle de l'inconnu. » Austère et grave, il siégeait à son tribunal, écoutant les doléances de tous, surtout du menu peuple, et rendait ses sentences en s'inspirant des nobles principes de la justice.

Or, j'ai dit que l'auteur du crime commis dans notre bonne ville était le neveu de ce digne magistrat. Mais au moment où cette horrible action fut connue, Herkenbald était au lit, gravement malade. Vous pensez bien que l'affaire fit grand bruit dans la cité. On en parlait partout et l'on se demandait avec anxiété quelle allait être la décision d'Herkenbald lorsque plus tard il apprendrait le fait; car, quant à lui en dire un seul mot sur-le-champ, on n'osait pas, étant donné son état. On discutait la chose jusque dans le steen du magistrat, tant et tant qu'un jour Herkenbald entendit de grands murmures. Il demanda ce que ce bruit signifiait.

Les femmes surtout se démenaient, paraît-il, et ce furent leurs clameurs, ajoute-t-on, qui attirèrent son attention. Ne voyez dans ce trait qu'une petite méchanceté de nos pères à l'égard du beau sexe; car ils aimaient beaucoup à rire. Dans ce cas, cependant, ils pourraient avoir raison, car les femmes prennent le plus souvent parti l'une pour l'autre.

Or donc, Herkenbald, appelant ses gens, demanda :
– Que veut dire ce bruit ?
Mais chacun se retira sans répondre, car qui eût osé dire à ce sage homme: « Votre neveu a commis un crime » ?
Lui, cependant, piqué de curiosité, insista. Tout le monde lui cacha la vérité.
A la fin, impatienté, il appela un de ses serviteurs:
– Par l'archange Saint-Michel ! je te ferai arracher les yeux si tu ne me dis ce qu'il y a.
L'autre, effrayé, balbutia :
Seigneur, on vient de commettre un crime.
– Le coupable?
– C'est...
– Achève, ou par la benoîte vierge Marie...!
– Seigneur, le coupable est celui qu'après vous chacun craint, considère et respecte le plus...
– Mon neveu! s'écria lamentablement Herkenbald.
Le valet s'inclina sans mot dire.

Quelle douleur ce dut être pour ce noble cœur! Agé de soixante ans, il était resté veuf avec une belle jeune fille qu'il destinait à devenir la femme de son neveu. Et celui-ci était un criminel!... Mais sa stupeur ne dura pas. Il était juste, son cœur était plein de droiture. Il s'enquit de l'affaire, reconnut la vérité des choses, et, sans hésiter un seul instant, comme s'il avait été question d'un inconnu, il condamna son neveu à être pendu et donna ses ordres en conséquence.

Mais l'officier chargé de les exécuter crut que son noble maître se repentirait tôt ou tard d'avoir été trop sévère et lui reprocherait peut-être d'avoir appliqué si rapidement la sentence. Il conseilla donc au jeune homme de se tenir caché pendant un certain temps et de laisser passer l'indignation du magistrat. Puis, au bout de quelques heures, il retourna auprès d'Herkenbald et lui dit que tout était fini.

Cependant, cinq jours après, le neveu, croyant que la colère du vieillard était tombée, revint dans son hôtel, et eut l'imprudence de regarder dans la chambre où reposait Herkenbald, toujours malade. Celui-ci l'aperçut et l'appela affectueusement. Le jeune homme s'approcha tout heureux, croyant obtenir son pardon. Mais soudain le magistrat se dressa : de la main gauche il le saisit aux cheveux, et de sa droite il lui enfonça un poignard dans la gorge. Ainsi il le tua, « par amour de la justice ».

Cette histoire terrible, dont le héros est un magistrat sévère, cruel peut-être, mais droit et intègre, nous donne une idée de la façon dont la justice était appliquée à cette époque lointaine. Hélas! que ne l'a-t-on toujours comprise ainsi!

Un peintre du xve siècle, Roger Van der Weyde, la fixa sur la toile. Son tableau, qui décorait la salle du conseil de l'hôtel de ville, aujourd'hui la salle gothique, était destiné, avec trois autres compositions du même artiste, « à inspirer aux chefs de la bourgeoisie l'amour de la justice et l'horreur du crime ». Tous les quatre disparurent, on ne sait quand ni comment.

D'aucuns prétendent que la rue où le crime fut commis reçut depuis le nom de rue de Fer, en souvenir du caractère ferme et dur du magistrat ou de la dureté qu'il montra à cette occasion. C'est une grave erreur. La rue AU Fer, et non rue DU Fer, était l'ancienne impasse du Vaelbeke, qui fut prolongée au travers des bâtiments de l'antique couvent des Récollets, situé près de l'église de Saint-Nicolas, fermé le 31 octobre 1796 et abattu peu de temps après. Elle reçut ce nom « parce qu'il s'y trouvait un magasin de ce métal ». Elle communiquait avec l'ancien marché au Beurre par une ruelle appelée petite rue au Fer.


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