La légende de Saint Martin et de la fontaine de la Herse [Saint-Martin-du-Vieux-Bellême (Orne)]

Publié le 29 février 2024 Thématiques: Fontaine , Guérison , Légende chrétienne , Origine , Origine d'un nom , Saint Martin , Saint | Sainte , Source ,

Fontaine de la Herse
Fontaine de la Herse. Source Velvet, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Pitard, P. / Légendes et récits percherons (1875) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Fontaine de la Herse / Saint-Martin-du-Vieux-Bellême / Orne / France

Saint Martin de Tours était en grande admiration dans notre contrée du Perche, et l'une de nos plus populeuses paroisses est placée sous son vocable. Au temps de Saint-Martin, la province était en grande partie couverte de bois. Il prit envie au saint, ce qui était naturel, de livrer à la culture une partie de cette quantité inutile de bois et de défricher de vastes espaces. Mais sitôt qu'il appliqua la charrue à ce terrain, dit de la Herse, ô prodige! la terre s'ouvre d'elle-même, le soc se détache et plonge dans l'excavation. Le grand saint, tout puissant en miracles, pouvait bien, Dieu aidant, retirer le soc; il s'abstint, cependant, croyant voir, dans ce fait extraordinaire, l'intervention divine et un avertissement du ciel. Mais une merveille en amène une autre. Depuis la tentative de Saint Martin, depuis le plongeon de la charrue, il s'écoule de l'ouverture une eau abondante, fraîche, légèrement styptique et douée de propriétés médicales pour la guérison de beaucoup de maladies, et notamment des maladies nerveuses et anémiques des femmes.

La légende est un peu en désaccord avec l'histoire, la mythologie et la chronologie: ainsi sont adossées à la fontaine de larges pierres portant des inscriptions fort païennes que le grand saint n'eût pas vues de bon œil et n'eût pas tolérées. Puis l'occupation romaine est antérieure à Saint Martin. Mais, une légende n'y regarde pas de si près; ce n'est pas pour elle que sont institués un peu de rai son et de sens commun.

Cette légende, paraît-il, a eu cours pendant de longs siècles, et beaucoup apprendront avec étonnement que cette croyance n'est pas encore tout à fait éteinte.
– Voyez-vous, disait récemment un compère à un autre compère, comme l'eau, dans son parcours, laisse tomber sur les rives une grande quantité de rouille; eh bien, la cause en est dans la présence de la charrue de Saint Martin. Le fer, à la longue, s'est rouillé; le courant entraîne cette rouille et la dépose sur les bords. Depuis Saint Martin, la charrue n'a jamais pu être retirée, quelque tentative que l'on ait faite; et cette charrue, je l'ai bien vue, moi qui vous parle.
– Or, intervint à cette conversation un homme grave, très instruit, et aussi très religieux. Il fit observer au narrateur que, depuis un temps immémorial, le fond de la fontaine est pavé en briques et que la présence de la charrue était simplement impossible. Les deux compères conservèrent leur croyance; l'un ne pouvait n'avoir pas vu ce qu'il affirmait résolument avoir vu; l'autre parfaitement convaincu que son compère ne pouvait affirmer qu'une chose par lui vue, de ses propres yeux vue.

Ainsi s'établissent les croyances populaires. L'homme est avide de merveilleux; il a rempli d'êtres surnaturels, l'air, les eaux, les lieux inférieurs, et leur fait accomplir des choses incroyables. Les anciens ont peuplé les cieux et la terre de dieux et de déesses, et l'Egyptien, dans sa foi robuste, pensait, au temps où il pensait encore, voir un dieu dans le légume ou l'oignon qu'il mangeait avec son pain d'orge.

e christianisme, qui est venu éclairer le monde de ses lumineuses doctrines n'a pu changer le goût des hommes pour les contes de la fantaisie.

Notre grand fabuliste avait donc raison quand, dans sa fine appréciation des travers humains, il laissait tomber de sa plume la moralité suivante :
"L'homme est de glace aux vérités;
Il est de feu pour le mensonge."


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