Les légendes du lac vidé du Livarois [Job (Puy-de-Dôme)]

Publié le 10 juin 2023 Thématiques: Baptème , Enfant , Enlèvement , Fadet , Fée , Lac , Légende chrétienne , Montagne , Mort , Punition , Sel ,

Fées des montagnes
Fées des montagnes. Source Midjourney
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Source: Grivel, Louis Jean (abbé) / Chroniques du Livradois (1852) (3 minutes)
Lieu: Tour Goyon / Job / Puy-de-Dôme / France
Motif: F211.3: Les fées vivent sous la terre F321: Une fée vole un enfant au berceau F361.8: Une fée se venge de l'assassinat de ses proches

Maintes fois encore j'ai trouvé plus d'un Nestor de village (vivante chronique avec ses mille variantes et ses exagérations) qui m'engageait à m'assoir auprès de lui pour me conter comme ça que notre plaine ne formait autrefois qu'un grand lac, si profond que nos montagnes baignaient leurs sommets dans ses eaux; -que l'on voyait il n'y a pas long-temps encore des anneaux scellés aux roches granitiques sur lesquelles s'élève d'un côté Cornillon, de l'autre Clavelier et Mont-Ravel, qui étaient destinés à amarrer les barques qui faisaient le service du lac; - comme ça encore que l'on avait fait sauter par le moyen de mines chargées à poudre les gigantesques rochers de la Tour-Goyon; au moment où le lac fut débondé, il produisit un torrent furieux; ses hautes et grandes eaux se précipitèrent à travers l'issue qu'on leur avait ouverte avec un fracas tel qu'on l'entendit à trois lieues à la ronde; tout fut entraîné sur leur passage, les flots creusèrent des espèces d'abîmes où ils s'engouffrèrent d'abord, puis ils remontèrent en tournoyant les gouffres ou gours les plus profonds furent primitivement ceux de la Roche et de Sampi (cent pieds); - comme çа enfin, que nos habitants se brouillèrent à mort avec les Fades du pays, ce qui n'était pas peu de chose, car elles étaient en grand nombre et fort redoutées dans le Livradois.

Qu'est-ce donc qui avait mis en émoi toutes ces peuplades paraissant et disparaissant comme l'éclair (En Celte, Fad veut dire disparaître), n'étant pas plus surchargées de leurs petits que l'oiseau n'est chargé de ses plumes et de ses ailes? Qu'est-ce qui encore leur fit jeter les hauts cris, proférer des menaces horribles qui faisaient dresser les cheveux sur la tête à ceux qui les entendaient? Qu'est-ce qui enfin leur fit détruire pendant les nuits les plus courtes tout ce que les travailleurs avaient eu tant de peine à faire pendant tout le long des plus grands jours de la Saint-Jean? Et leurs outils brisés, éparpillés aussi menus que pailles et allumettes (reiteliou)! Ah voilà! c'est qu'en brisant et en retournant tous ces rochers on était arrivé jusqu'aux cavernes profondes où habitaient les Fades, on avait profané leurs retraites mystérieuses, violé, dévasté leur domicile, et que, pour comble d'attentat, on avait enlevé nombre de leurs progénitures qu'elles aimaient comme tout, et qu'enfin on ne leur avait laissé que les yeux pour pleurer..... et le besoin de la vengeance! Aussi bientôt pleurs pour pleurs, désolation pour désolation! un beau matin elles enlèvent, les idolâtres qu'elles sont! tous les nouveaux-nés chrétiens des environs. Et les pauvres mères! à toutes leurs plaintes, à toutes leurs supplications, elles répondent :
Randa nou noutri Fadou,
Vou randren voutri Saladou.
(Allusion au sel du baptême, dont étaient privés les enfants des fées et qu'avaient reçu les enfants chrétiens.)

Force fut bien de promettre l'échange. Ce qui fut dit fut fait.

Les enfants chrétiens étaient entre les bras de leurs mères qui ne se sentaient pas de joie; déjà les Fades élevaient les leurs pour les embrasser, lorsque, ô rage! elles aperçoivent sur les lèvres. de leurs nourrissons le sel baptismal. Bientôt leur petite main se porte au front, à la poitrine, à l'épaule gauche, et de la gauche à la droite. Que voient-elles? plus de doute, on en a fait des chrétiens, les voilà défadés. Et cependant, avant le baptême, c'étaient de vilains petits monstres; maintenant, jolis comme des anges. Rien n'y fait, car au lieu d'être charmées, les Fades les repoussent durement et les déposent en toute hâte, qui les unes sur des rochers, qui les autres sur des branches d'arbres, et s'enfuient en poussant des cris aigus.

C'est dans les rochers de Morel (las Cavas) et dans les profondeurs si redoutées de la Vaure qu'elles vont cacher leur honte et leur malheur. Elles ne disparurent toutefois du pays qu'au temps où l'on commença à sonner l'angelus.

Pour leurs enfants, ils ne furent pas long-temps orphelins. C'était à qui mieux mieux pour en avoir soin quant au salut de l'âme et du corps ; les mères les regardaient comme des nourrissons que le Ciel leur avait confiés, les enfants comme des frères ou des sœurs. Plus tard même il y eut des mariages entre eux qui achevèrent de confondre ces races.


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