Une fois, il y avait une jeune fille du bourg de Nessayre qui se mariait. Un jour, son fiancé vint la chercher de grand matin pour aller faire les achats de fiançailles à Saint-Flour.
La jeune fille partit toute joyeuse avec son fiancé; elle était tellement contente et pressée d'acheter de belles choses, qu'elle oublia de faire sa prière.
Tout se passa pour le mieux; la chaine en or, les pendants, l'alliance, les bagues, lui plurent et ils lui allaient très bien. Le soir, Jeanneton (c'était le nom de la mariée) avait ses poches pleines de dorures et elle emportait trois gros paquets de belles étoffes. En s'en allant elle en parlait à son futur, tout en montant la côte : Le velours était noir, le tablier en belle soie et la robe en mérinos vert. Tout à coup, elle s'aperçut que le fil de même couleur que la robe manquait. « C'est bien ennuyeux, dit-elle, nous sommes déjà loin de Saint-Flour; mais il nous faut retourner sur nos pas; si ma robe n'était pas cousue avec du fil vert, cela me porterait malheur ». Ils étaient déjà à la Baraque de l'Enfer, tout au haut de la côte, mais l'on se décida à retourner à la ville, pensant que celui qui n'a pas une bonne mémoire est obligé d'avoir de bonnes jambes.
Les deux futurs avaient à peine fait quelques pas quand Jeanneton trouva, au bon milieu du chemin, un peloton du fil de la couleur de sa robe. «Quelle chance, dit-elle, ce fil fera tout à fait bien, à la ville nous n'en trouverions pas de plus beau, ni d'aussi belle couleur. » Et les deux jeunes gens retournèrent chez eux.
Le lendemain, la plus habile couturière du pays fit la robe; elle était assez longue, assez large, ne faisait pas un pli; enfin tout le monde s'accorda à reconnaitre que cette robe allait très bien et que la mariée serait belle le jour des épousailles. Le fil était d'un très beau vert et bien assorti à la couleur de la robe.
Le jour de la noce arriva; l'on avait invité plus de cinquante parents et un grand nombre de jeunes filles et de jeunes gens des environs. Tous quittèrent la maison pour se rendre à l'église. Il faisait bien beau temps, les cloches tintaient dans l'air et la musette, en avant des gens de la noce, faisait entendre un air tout à fait divertissant.
Des enfants suivaient en chantant : Las tcharreyros basoun flouri, [Les rues vont fleurir,] La bello nobio bay sourti : [La belle mariée va sortir:] Basoun fleuri, basoun grana, [Elles vont fleurir, elles vont grainer, La bello nobio bay passa. [La belle mariée va passer.]
Ou arrive à la porte de l'église, l'on entre, mais au moment où la future trempait ses doigts dans l'eau bénite, sa robe verte tomba en trente morceaux; il n'y avait plus de fil de la même couleur que l'étoffe.
Qu'est-ce qui s'était donc passé ? Le peloton de fil trouvé au milieu du chemin, le jour que Jeanneton n'avait pas fait sa prière du matin; ce peloton de fil, c'était lou dray (le drac) qui s'était changé en peloton de fil. Tous les invités se retirèrent épouvantés, la pauvre Jeanneton, à moitié vêtue, ne savait où se cacher, et de noce il n'y en eut point.
Jeunes filles quand vous irez acheter vos effets de noce, n'oubliez pas de faire votre prière avant de partir. Méfiez-vous du drac.