Gautier de Birbach se distinguait parmi tous les chevaliers de son temps par une piété sincère et profonde. La Sainte Vierge recevait ses ferventes prières soir et matin; on aurait pu dire que c'était à elle qu'il avait voué toute son existence.
Il se dirigeait un jour vers Darmstadt pour y assister à un tournois. Ce fut la première fois qu'il voulut entrer en lice; il savait que dans le nombre des chevaliers qui s'y rendaient, il y en avait plusieurs qui le surpassaient en force physique et par leur adresse dans le maniement des armes. Aussi craignait-il beaucoup de ne pas résister avec honneur dans les joutes, il redoutait surtout d'être culbuté dans l'arène et de devenir ainsi l'objet de la raillerie générale. Ce qui augmenta encore cette crainte, ce fut le souvenir de la dame de son cœur, qui devait être présente au tournoi et dont il portait les couleurs. Il croyait ne pouvoir survivre à la honte d'un échec en présence de sa bien-aimée.
Tourmenté de ces pensées, Gautier chevaucha par la bruyère et vit tout-à-coup un autel près du chemin. Une niche y était occupée par l'image de la Vierge. Aussitôt il descendit du cheval qu'il attacha à un arbre, puis il se livra à sa devotion habituelle. Il implorait de la Sainte-Vierge le secours nécessaire pour combattre honorablement, et pour remporter une victoire glorieuse dans le prochain tournoi. Ses sens se troublèrent par la ferveur même de sa prière, et il tomba dans une espèce d'extase. Il fut pendant longtemps, pareil à un rêveur, aux pieds de l'image.
La divine Vierge cependant avait entendu la prière de son zélé serviteur. Elle descendit de l'autel, lui délia, sans qu'il s'en aperçut, le casque, la cuirasse et l'épée, s'en arma et s'envola ainsi sur le coursier du chevalier. Après un espace de temps assez considérable, elle revint, remit à Gautier qui ne se douta de rien, les armes qu'elle lui avait prises, et retourna à sa première place sur l'autel.
Ce ne fut qu'à ce moment que le pieux chevalier sortit de son extase. Il se leva promptement, fit encore une profonde génuflexion devant la bienheureuse Vierge et vola vers la ville qui n'était pas loin de là. Arrivé aux portes on le reçut avec un immense enthousiasme, et quand il s'approcha des palissades de l'arène, toutes ses connaissances l'environnèrent en le félicitant; il apprit à sa grande surprise qu'il avait vaincu dans le tournoi qui venait de se terminer, tous les champions et qu'on allait lui décerner le premier prix. D'abord il eut peine à en croire ses oreilles; mais bientôt une voix intérieure lui découvrit le mystère et comment il avait obtenu la victoire, et il comprit qui avait combattu à sa place.
A la suite de ce tournoi, Gautier devint l'époux fortuné de sa bien-aimée. Par reconnaissance envers la Sainte Vierge, il lui fit ériger sur la bruyère, à l'endroit où se trouvait l'autel, une chapelle grande et splendide. Il n'a cessé de trouver son bonheur, sa vie durant, dans la vénération de sa protectrice.