[...] [Une légende raconte que le] chevalier Hakelberg était possédé d'une ardeur si forcenée pour la chasse qu'il renonça à sa part du paradis et se donna au diable, pourvu qu'il lui fût permis de chasser toute sa vie en ce monde.
Le diable, à qui il s'était vendu, lui accorda plus qu'il ne demandait; il lui promit qu'il chasserait jusqu'au jour du jugement dernier.
On dit que son tombeau est dans la forêt d'Usslar, que c'est une énorme pierre brute, un de ces vieux monuments appelés vulgairement pierres druidiques, circonstance qui servirait à confirmer l'alliance des traditions populaires avec l'ancienne religion du pays. Selon les paysans, cette pierre est gardée par les chiens de l'enfer, qui y restent sans cesse accroupis.
En l'an 1558, Hans Kirchof eut le malheur de la rencontrer par hasard, car il faut dire que personne ne la trouve en se rendant exprès dans la forêt avec l'intention de la chercher. Hans raconta qu'à son extrême surprise il n'avait pas vu les chiens, quoiqu'il avouât que ses cheveux s'étaient dressés sur sa tête lorsqu'il avait aperçu le mystérieux mausolée de ce chasseur félon.
Le silence règne autour de la pierre de la forêt d'Usslar; mais l'esprit agité du chevalier Hakelberg ou du démon qui a pris ce nom est aujourd'hui tout-puissant dans le voisinage de l'Odenwald ou forêt d'Odin, au milieu des ruines du manoir de Rodenstein. Son apparition, [...], est un pronostic de guerre. C'est à minuit qu'il sort de la tour gardée par son armée; les trompettes sonnent, les tambours battent; on distingue les paroles de commandement adressées par le chef à ses soldats fantastiques; et, si le vent souffle, on entend le frôlement des bannières; mais, dès que la paix doit se conclure, Rodenstein retourne aux ruines de son château sans bruit, ou à pas mesurés et aux sons d'une musique harmonieuse.
Rodenstein peut être évoqué, ajoute-t-on, si on veut lui parler. Il y a quelques années, un garde forestier passait près de la tour à minuit. Il venait d'une orgie et avait une dose plus qu'ordinaire d'intrépidité : « Rodenstein, viens ici! » s'écria-t-il. Rodenstein parut avec sa bande. Hélas! telle fut la violence du choc dans l'air que le garde tomba par terre comme si le plus violent ouragan l'eût renversé; il se releva plein d'effroi et n'osa plus appeler le chasseur maudit.