La légende des Carottiers de Soye [Soye, Mancenans (Doubs)]

Publié le 24 novembre 2023 Thématiques: Abbaye | Monastère , Animal , Cheval , Chien , Héritage , Humour , Marchand , Messe , Mort , Origine , Origine d'un nom , Testament , Veuf | Veuve ,

Le village de Soye
Le village de Soye. Source Jean espirat, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Village de Soye / Soye / Doubs / France
Lieu: Abbaye de Lieu-Croissant (abbaye des Trois-Rois) / Mancenans / Doubs / France

Ce n'est pas en vain, je le crois,
Que de nos jours, comme autrefois,
Un commun proverbe s'emploie.
On dit : Les Carottiers de Soye.
Désirez-vous savoir pourquoi ?
Eh bien alors, écoutez-moi.

Un paysan de ce village,
Touchant à son dernier moment,
Voulut, suivant un bon usage,
A sa femme, par testament,
Donner un petit témoignage
De son fidèle attachement.

« Je lègue », dit-il, « à ma femme,
« Mon bon cheval et mon vieux chien.
(C'était le plus clair de son bien.)
« Mais je dois songer à mon âme !
« Le cheval a de la valeur,
« Si le chien ne vaut pas grand'chose.
« Pour ma femme, de très bon cœur,
« De l'un et l'autre je dispose;
« Mais à ma disposition,
« Elle permettra que je pose
« Une simple condition.
« Je m'explique : elle devra vendre
«Le cheval, et sans rien en prendre,
« Verser tout le prix, en passant,
« Au bon prieur de Lieu-Croissant,
« Afin que pour mon âme il prie.
« Quant au vieux chien, elle en fera,
« Sans que cela me contrarie,
« Tout ce que bon lui semblera ».

Peu de temps après, le digne homme
Mourut vraiment, et Dieu sait comme
Sa pauvre femme le pleura!
« Que le bon Dieu le mette en gloire ! »
Disait-elle avec charité ;
Et par respect, comme on peut croire,
Pour sa dernière volonté,
Elle conduisit à la foire
La plus prochaine de Clerval,
Ou de l'Isle, chien et cheval.

Un homme du pays d'Ajoie,
Qui circulait sur le marché,
Du cheval s'étant approché,
Offrit à la femme de Soye
Cent écus de cet animal.
« Voici », dit-elle, « un bon apôtre !
« Mais je ne vends pas l'un sans l'autre;
« Prenez le chien et le cheval ».
« De votre chien je n'ai que faire »>,
Fit l'Ajoulot, « je ne veux rien
« Du tout vous en offrir », Eh bien !
« Nous allons arranger l'affaire »,
Reprit-elle, « et voici comment
« Nous pourrons tous deux nous entendre:
« Pour cent écus, vous allez prendre
« Le chien ; et pour un, seulement,
« Vous aurez le cheval ». – « La bride.
« Est neuve », observe l'Ajoulot ;
« Le collier a même un grelot.
« Tapons! » dit-il, « je me décide.
« Quoique bizarrement tranché,
« Je fais encore un bon marché ».
Quant à la trop fine héritière,
Elle ne remit, en passant,
Au bon prieur de Lieu-Croissant,
Qu'un écu pour une prière,
Disant « C'est le prix du cheval;
« De mon mari, tant bien que mal,
« J'ai fait la volonté dernière ».
On en parla fort dans l'endroit ;
Et depuis, ce fut à bon droit
Qu'on l'appela la Carottière,

Ce nom gagna bien des quartiers,
De proche en proche et d'âge en âge;
Et les méchants du voisinage
Nomment aujourd'hui Carottiers
Tous les habitants du village.


Partager cet article sur :