La grâce de Notre-Dame d'Aigremont [Laissey, Roulans (Doubs)]

Publié le 23 juillet 2024 Thématiques: Amour , Blessure , Déguisement , Infidélité , Pauvre , Prière , Ruse ,

Notre-Dame d'Aigremont
Notre-Dame d'Aigremont. Source Diocèse de Besançon
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Ville de Roulans / Roulans / Doubs / France
Lieu: Chapelle d'Aigremont / Laissey / Doubs / France

Il y avait à Roulans un homme marié qui avait le malheur de ne pas aimer sa femme, et d'être épris de deux autres créatures avec lesquelles il avait des relations coupables et tellement suivies que le public et que sa femme elle-même ne les ignorait point. Celle-ci, honnête et bien sage, était contrainte de souffrir ces deux rivales, avec le chagrin que l'on peut penser. Mais elle avait tant prié N.-D. de Roulans et fait tant de pèlerinages à son antique chapelle, au sommet du mont sacré, qu'avec l'amour de la paix et du bon ménage elle avait reçu du ciel cette vertu de patience qui vient souvent à bout des caractères les plus intraitables.

Un jour donc que son mari se disposait. pour aller à la foire à Besançon, une des deux illégitimes lui commanda de lui rapporter une pelisse de chaude fourrure et l'autre une étoffe précieuse et belle pour une robe. A peine pensa-t-il à sa femme, préoccupé qu'il était du fol amour de ces deux indignes créatures.

Toutefois, plus par acquit qu'autrement, il lui demanda au départ si elle ne voulait pas qu'il lui apportât quelque chose de la foire. Achetez, lui dit-elle, pour trois liards d'entendement afin de comprendre mieux vos devoirs. Il lui promit en se gaussant, que s'il en trouvait sur la place Labourey, il ne manquerait pas d'en acheter pour trois liards.

Après donc qu'il eut fait ses emplettes principales, il n'oublia point ce qu'il avait promis à ses deux sangsues et l'acheta. Puis, entretenant le maître de son hôtellerie, il lui dit en riant qu'il ne lui restait plus rien à acheter que pour trois liards d'entendement, que sa femme l'avait prié de lui rapporter pour le retirer de l'amour de ces femmes qui le perdaient. Si vous le voulez, lui dit l'hôte qui connaissait sa misérable conduite, je vous en donnerai gratuitement, qui vous vaudra plus de cent écus étant bien ménagé. Quand vous aurez passé les Longeaux et que vous approcherez de Roulans, prenez des habits tout déchirés et mettez-vous en équipage d'un homme dévalisé, tuez même une volaille, frottez de son sang un des côtés de votre visage, et enveloppez-vous la tête de quelque linge comme si vous étiez bien blessé par des voleurs, et, en cet état, présentez-vous successivement à vos trois femmes, et vous saurez alors celle qui vous aime réellement.

Il suivit ce conseil et, dès qu'il se présenta au logis de la première de ces mauvaises femmes, il se prit à se lamenter comme un homme que les voleurs avaient réduit à la banqueroute et à la mendicité, si elle ne l'assistait en ce désespoir. – « Quoi! lui dit cette mégère, vous me demandez mon bien? Ne vous suffit-il pas que je me sois déshonorée pour votre plaisir. » La seconde le traita plus durement encore, car elle le repoussa avec injures. Il se présenta enfin à sa femme pour lui conter son infortune comme aux autres; mais elle, sans lui donner le temps de parler, lui saute au cou, l'embrasse et pleure en le voyant dans un si piteux état; elle le console et lui donne courage, l'assurant qu'elle ne l'abandonnera point parce qu'elle est son épouse et sa meilleure amie dans la mauvaise fortune comme dans la bonne. Elle ajoute que le bon Dieu saura bien réparer par ses bénédictions les pertes qu'il a pu éprouver. Quant à lui, versant des larmes d'attendrissement et de bonheur, il la tire de son erreur, la rassure et lui raconte ce qu'il a fait. Il proteste qu'à l'avenir il n'y aura dans son cœur d'affection que pour elle. Il lui donna tout ce qu'il avait acheté pour les autres, et dès lors il ne cessa de vivre en parfaite harmonie d'idées et de sentiments avec sa femme.


Partager cet article sur :