La légende du lycée de Besançon [Besançon (Doubs)]

Publié le 8 mai 2024 Thématiques: Confession , Moine , Mort , Noblesse , Paysan , Ruse , Testament ,

Collège Victor Hugo
Toufik-de-planoise, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (3 minutes)
Lieu: Une Ferme à Montferrand-le-Château / Montferrand-le-Château / Doubs / France
Lieu: Collège Victor-Hugo / Besançon / Doubs / France

Le lycée de Besançon doit, dit-on, la splendeur de ses bâtiments à la supercherie des Jésuites du XVIIe siècle. On raconte qu'en l'an 1626, un vieux garçon, Antoine-François Gauthiot, seigneur d'Ancier, propriétaire de grands biens en Franche-Comté, faisait un voyage de plaisir à Rome. Il s'était muni des plus belles lettres de recommandation de la part des Pères Jésuites de Besançon, lesquels étaient ses amis et comptaient devenir ses héritiers. Il tomba malade en arrivant, et mourut presque subitement dans la maison du Grand-Jésus, sans avoir eu le temps de faire son testament.

Bien que les intentions du défunt fussent connues, l'acte essentiel manquait pour que les Pères Jésuites héritassent. Un simple serviteur, un frère, qui avait habité la Franche-Comté, conçut une ruse, communiqua son plan aux Révérends Pères, et, comme les consciences italiennes n'ont jamais manqué de souplesse, on se mit à l'exécution. Sur la mort de M. d'Ancier on garde le plus grand secret, tandis que le frère se rend en Franche-Comté, à deux lieues de Besançon, c'était à Montferrand, où séjournait Denys Euvrard, fermier d'une grange de M. d'Ancier, ayant d'une manière remarquable, la voix semblable à celle de son maître.

Le messager demande avant tout la promesse du secret au fermier; puis il lui apprend qu'il faut venir de suite à Rome, où M. d'Ancier, sur le point de mourir, veut lui faire d'importantes révélations et le récompenser généreusement. Denys Euvrard, sans balancer, se met en route; et, conduit par le frère, il arrive à la maison du Grand-Jésus.

Deux Pères Jésuites viennent à lui: « Ah! mon pauvre ami, lui disent-ils, vous arrivez trop tard! M. d'Ancier est mort. C'est une grande perte pour vous et pour nous. Son intention était de vous donner la grange de Montferrant et de léguer le reste de ses biens à nos pères de Besançon; mais il n'y faut plus songer. » Denys Euvrard fait là-dessus d'amères réflexions dont un des pères vient enfin le tirer le lendemain : « Mon cher Euvrard, lui dit-il, il me vient une idée. C'était l'intention de M. d'Ancier de faire son testament. Il voulait vous donner sa grange de Montferrand et nous laisser le surplus de ce qu'il possédait. — Vous avouerez qu'il était le maître de ses biens. Il pouvait en disposer comme il le jugeait convenable; ainsi l'on peut regarder ses biens comme nous étant donnés devant Dieu. Il ne manque donc plus que la formalité du testament; mais c'est un défaut de forme qu'il est possible de réparer. Je me suis aperçu que vous aviez la voix entièrement semblable à celle de M. d'Ancier. Vous pourriez facilement le représenter dans un lit et dicter un testament conforme à ses intentions. Surtout vous n'oublierez pas de vous donner la grange de Montferrand. »

Le fermier se rend à l'avis de l'habile casuiste, il se soumet à ses conditions. Pour écarter davantage tout soupçon, lorsque Denys Euvrard est dans son lit, on appelle devant lui, non-seulement le notaire, mais encore deux Franc-Comtois distingués, alors en voyage à Rome, l'un conseiller au Parlement, et l'autre chanoine de la métropole. En leur présence, le faux moribond dicte ses dispositions testamentaires.

« Je donne et lègue à Denys Euvrard, mon fermier, ma grange de Montferrand... et toutes ses dépendances, ajoute-t-il, se gratifiant ainsi d'un moulin, d'un bois et des cens.

(Les RR. PP. étaient trompés par leur complice, dont l'appétit subtil devint irrésistible; mais qu'y faire ?)

– Item, je donne et lègue audit Euvrard mille écus à choisir dans mes meilleures constitutions de rentes et tout ce qu'il peut redevoir de termes arriérés pour son bail de la grange de Montferrand.

– Item, je donne et lègue une somme de cinq cents francs à l'enfant de la nièce dudit Euvrard... »

Enfin, le testateur se sentant suffisamment rengorgé déclare que, quant au surplus de ses biens, il institue pour ses héritiers universels les Pères Jésuites de Besançon, à la charge par eux de bâtir une église suivant le plan déjà projeté, d'y ériger une chapelle sous l'invocation de Saint-Antoine et de Saint-François, ses bons patrons, et de célébrer dans ladite chapelle une messe quotidienne pour le repos de son âme.

Tel qu'il était, ce testament dut être exécuté. Mais Denys Euvrard avait compté sans son curé. Se trouvant, quelques années plus tard, alité pour mourir véritablement, il confessa le bon tour exécuté à Rome. Le pasteur villageois, casuiste sévère, exigea que cette déclaration fût faite publiquement, en présence du notaire, du juge du lieu et de plusieurs témoins. Les biens mal hérités de Denys Euvrard retournèrent aux parents de M. d'Ancier, et, en outre, le fermier fut tenu de leur abandonner les siens propres pour indemnité.

Armés de la déclaration, les héritiers naturels de M. d'Ancier intentèrent aux Pères Jésuites un procès; ils le gagnèrent à Besançon; ils le gagnèrent devant le Parlement de Dôle. Mais il y avait alors un conseil suprême à Bruxelles, et, au nom du roi d'Espagne, les biens échus aux RR. PP. demeurèrent en leur possession.

Au reste, les Pères Jésuites surent faire un bel emploi de leurs nouvelles ressources. Le lycée de Besançon est un des plus beaux établissements de l'Université de France.


Partager cet article sur :