Si les cloches de Gernicourt ont été muettes en présence de Saint Rigobert qui finit par leur rendre leur mélodie, il n'en fut pas de même de la cloche de Céply qui parla toute seule et avec une rare intelligence dans une circonstance critique dont on a gardé la memoire dans le pays. Le hameau de Céply était une ancienne dépendance du bourg de Crécy-sur-Serre. Il occupait une partie de la plaine qui se trouve vers Chalandry entre la rivière de Souche et le nouveau lit de la rivière de Serre. Il a complètement disparu, soit qu'il ait été détruit à la suite de quelques violentes inondations auxquelles il était fréquemment exposé dans ce pli que formaient les eaux alors très-abondantes dans ces prairies basses, soit plutôt qu'il ait été abandonné aussitôt que le canal de dérivation de la Serre l'eût séparé de la Metropole. Nous avons une preuve de l'importance de ce hameau ou petit village dans l existence d'une fabrique qui y avait été établie et qui devait jouir de revenus assez considérables puisque nous la voyons donner en 1696 une somme de 150 francs pour les écolages des petites filles de Céply, allant à la classe des sœurs à Crécy. Maintenant que cous avons constaté l'existence de ce petit faubourg dont l'origine était ancienne puisqu'il est fait mention de lui et de son moulin dès le commencement des XII et XIIIème siècles, parlons de l'aventure de sa cloche.
L'expérience nous apprend que les édifices religieux, malgré le caractère de sainteté dont ils sont toujours revêtus, ne sont pas toujours inviolables ni à l'abri des violences. Ils sont au contraire plus exposés que les autres à être dévalisés, soit à raison de leur isolement des habitations, ou du silence qui les environne à certaines heures de la nuit. C'est du moins ce qui est arrivé à l'église de Céply comme nous allons le voir.
On raconte, en effet, que pendant une nuit sombre et quand le vent soufflait en tempète, de hardis larrons jugent le moment propice, après avoir escaladé les murs de la chapelle, se mirent en devoir de la dépouiller de ses objets les plus précieux. Déjà ils avaient fait main-basse sur les tronc, contenant l'offrande des fidèles, la sacristie elle-même avait été fouillée jusque dans les recoins les plus ignorés. Un riche butin en était sorti, il ne restait plus aux malfaiteurs qu'a forcer le tabernacle pour en extraire le saint ciboire et quelques autres pièces d'argenterie qui s'y trouvaient renfermées.
La Providence ne permit pas que cet affreux sacrilège pût s'accomplir impunément. Au moment où l'un de ces dangereux brigands s'apprêtait à faire sauter la porte du tabernacle, la cloche se mit à sonner d'elle-même, à pleine volée, mais en signe d'alarme ; c'est-à-dire en faisant entendre comme un tocsin sinistre et frappant à coups redoublés ainsi qu'il arrive en cas d'incendie. Bientôt le hameau fut sur pied, on regardait avec inquiétude de quel côté était le feu et les secours à porter. Mais comme on ne voyait aucun indice de malheur qu'on redoutait, on se dirigea naturellement vers l'église d'où était parti le signal pour avoir l'explication de cette sonnerie inusitée et à pareille heure.
La cause en fut vite trouvée, quand les habitants, en pénétrant dans l'enceinte. sacrée, virent avec stupeur l'autel illuminé comme aux jours des fêtes, car tous les cierges étaient allumés et les voleurs, les traits bouleversés, muets et immobiles, dressés la comme des ombres dans le sanctuaire, on eût dit que leurs pieds sans mouvement etaient fixés au sol. Toutefois ils ne gardèrent pas longtemps cette attitude. Surpris en flagrant délit de vol et pièces en main, ces héros d'un nouveau genre furent appréhendés et livrés à la justice qui leur demanda un compte sévère de leur audacieuse profanation.