A partir [...] du IVe siècle, la Croix acquit partout une grande célébrité, et dont semble avoir hérité l'illustre Monastère de Notre-Dame de Soissons, fondé par saint Drausin au VIIe siècle. Nous savons, d'après un vieux poète français qui vivait au temps de Louis-le-Jeune, qu'il y avait dans cet établissement une Croix dont la légende rappelait un fait militaire des plus glorieux pour notre pays. Le voici :
Sur la fin du IXe siècle, alors que les Normands, remontant le cours des fleuves, portaient la désolation et le ravage jusqu'au centre de la France, on vit ces barbares, franchissant les digues qu'on opposait à leurs invasions, s'avancer jusqu'à l'embouchure de l'Aisne, et de là menacer la Cité de Soissons devant laquelle ils mirent le siège. Ce fut pour débloquer cette ville que le prince Henri de Saxe, général en chef de l'armée chrétienne, se vit forcé de s'acheminer à grandes journées vers cette ville, et de livrer sous ses murs une sanglante bataille.
Mais on ajoute qu'aussitôt le combat terminé, l'intrépide Guerrier, tout couvert de sang et de poussière, s'élança dans la rivière pour nettoyer ses armes qui en étaient toutes souillées. Tout à coup, en pénétrant dans le fleuve, il aperçut une croix noire qui flottait à la surface qui s'avançait contre le fil de l'eau en surnageant toujours. A cette vue, Henri pousse plus avant son cheval dans le lit de l'Aisne et recueille au milieu des flots la croix miraculeuse sans que ses habits aient été aucunement mouillés.
En présence de ce prodige qui venait doubler la joie de sa victoire, Henri fit transporter la Croix à l'abbaye de Notre-Dame où les religieuses la reçurent avec des transports d'allégresse et où elle fut toujours conservée depuis avec respect et honorée par des générations de pèlerins qui se succédaient pour y prier. C'est d'ailleurs ce que nous confirme Garin le Loherain dans son poème.
Si et l'emporta au moustier saint Drosin
Encor y est, oncques puis m'enpartis.
Très bien li levent et vieillart et meschin
Veiller y vont encor li pélérins.....
Il est constant en effet par l'histoire que cette croix a toujours été, jusqu'à la ruine de l'abbaye, l'objet d'un culte particulier, et que deux lampes brûlaient nuit et jour devant ce signe de notre Rédemption.
Quant à l'origine de cette croix, nous croyons la trouver dans ce passage d'un vieil inventaire qui s'exprime ainsi : «On voit une grande croix de bois fort ancienne attachée au mur, près du chœur qu'on dit avoir été autrefois sur le pont de la ville; mais qui fut jetée dans la rivière par un infidèle lorsque les Normands mirent le siège devant Soissons. »
Toutefois, cette croix n'était pas la seule relique de ce genre qu'on voyait à l'abbaye. On sait que Nivelon, évêque de Soissons, en revenant de la quatrième croisade en 1205, avait donné à sa chère nièce, Helvide, abbesse de Notre-Dame, du bois de la Vraie Croix ainsi désigné dans le catalogue dressé par Dom Germain : « Une grande portion de la Vraie Croix dans un tableau d'argent doré en forme de double croix de Lorraine, avec des figures à la grecque enrichie de plusieurs pierres précieuses. — Un grand reliquaire dans lequel il y a encore du bois de la Vraie Croix. »
Nous ne serions nullement étonné qu'à la suite de cette merveilleuse invention qui avait si fort frappé le duc Henri, on ait songé, l'année suivante, après son glorieux trépas au siège de Paris, à la tête des troupes teutoniques, à ramener son corps à Soissons, en souvenir de sa victoire, pour lui donner une sépulture honorable, on pourrait dire royale, dans les caveaux funèbres de Saint-Médard ainsi que nous l'apprennent les Annales de Metz.