L'abbaye d'Allerheiligen, jadis fort célèbre par l'érudition de ces moines, ne l'était pas moins par son école, où des jeunes gens du pays et de l'étranger venaient pour s'instruire dans les sciences et la littérature. Parmi les élèves, qui fréquentaient ce couvent, se trouvait un jeune homme bien élevé de Strasbourg, dont le caractère réfléchi était entraîné par la nature sauvage, qui environnait le couvent, et il pénétrait dans les sombres forêts, où rêvant des heures entières, appuyé contre un sapin, on bien assis sur un rocher, il suivait des yeux les flots mugissants du Grindbach, qui, se précipitant de rocher en rocher, se dérobaient à sa vue dans les profonds abîmes.
Un jour que, selon son habitude, il suivait des yeux ces vagues bondissantes, il vit tout-à-coup, à peu de distance, sortir d'une grotte pratiquée dans le roc, qu'une famille de Bohémiens avait adoptée depuis longtemps pour sa demeure, une jeune fille, qui par ses charmes ravissants, captiva soudain tous ses esprits. Il contempla longtemps cette belle fille jusqu'au moment, où une voix, qui appela: «Elmy! Elmy!» l'arracha de nouveau à son extase. Dès lors ses excursions eurent un but déterminé; il rencontra souvent Elmy et bientôt aussi leurs cœurs se confondirent. Une simple bague d'or mit le sceau au bonheur d'Elmy; elle contemplait constamment l'anneau brillant et ne pouvait se rassasier de le regarder.
Un jour, qu'elle l'avait ôté de son doigt pour le faire briller aux rayons du soleil, il survint tout-à-coup un corbeau, qui lui enleva l'anneau et le porta dans une fente de rocher à une hauteur inaccessible, où il avait fait son nid. La jeune fille se tordait les mains, poussant des gémissements, car l'anneau, qui devait faire tout son bonheur d'après ce que sa grand'mère lui avait pronostiqué par les lignes de sa main, avait disparu. Elmy toute désolée raconta à son amant le vol du corbeau et le supplia de lui faire recouvrer cette bague, de laquelle dépendait le bonheur de son amour. Le jeune homme la consola et lui promit d'aller chercher le bijou. Elmy fut aisément consolée, comme cela arrive chez toutes les jeunes filles, et oublia par les marques de tendresse de son amant le chagrin qu'elle avait eu.
Le jeune écolier du couvent confia son aventure à quelques-uns de ses camarades, qui convinrent de le seconder pour recouvrer le bijou.
Le lendemain matin, Elmy se promenant de nouveau devant la grotte, entendit un bruit au-dessus d'elle, et portant les regards du côté, où il pouvait venir, elle vit son amant, que l'on descendait au moyen d'une corde. Elle voulut l'avertir de ne pas s'exposer à une entreprise si périlleuse, mais l'angoisse et l'effroi étouffèrent sa voix. Il était déjà parvenu à la hauteur du nid du corbeau et croyait pouvoir atteindre le bijou; lorsque tout-à-coup la corde casse et le jeune homme tombe dans le précipice, où son corps se brisa contre le rocher. L'infortunée Elmy, témoin de cette catastrophe, tomba dans un évanouissement, dont elle ne sortit, que pour devenir folle, et perdit pour toujours l'usage de la parole.
