Bien avant dans les montagnes derrière Bade, entre les vallées de Sasbachwalden et d'Oberkappel, s'élèvent les montagnes de la Forêt Noire septentrionale à la hauteur considerable de 3,800 pieds en se prolongeant sur une longue crête, sur laquelle il n'y a que la bruyère ou une pâle mousse qui recouvre le terrain noir et marécageux qui s'affaisse sous les pas, et où, ça et là, un pin tortu et rabougri trouve à grand, peine la subsistance nécessaire à sa végétation.
Hornisgrinde est le nom de cette contrée inhospitalière, et la pointe méridionale s'appele Grenzberg. C'est là que, sur le versant escarpé de la montagne, encaissé dans des masses de rochers immenses, est un bassin profond rempli d'une eau sombre formant un lac, d'où le Seebach, affluent de la rapide Acher, se précipite dans la vallée. Des sapins gigantesques s'élévent majestueusement entre les énormes débris de rochers jetés pêle-mêle, et l'azur du ciel se réfléchit dans les eaux du lac, dont la surface est aussi calme et immobile que les eaux bitumineuses de la mer Morte. Seulement, de temps en temps, une vague agitée s'élève du fond, et semblable à un soupir qui s'échappe d'une poitrine oppressée, fait jaillir en bouillonnant à la surface, une bulle d'eau qui éclate et fait rider la nappe unie du lac en y formant un petit cercle qui va toujours en s'agrandissant: mais tout autour aucun bruit n'interrompt ce silence éternel, si ce n'est, par fois, le cri rauque d'un oiseau de proie.
Le nom de Mummelsée qui été donné à cette eau d'un aspect sinistre, provient des nénuphars blancs ou sirènes que la légende y fait habiter au milieu de jardins enchantés, semblables à ceux des Hespérides, d'une magnificence printanière merveilleuse et dans lesquels fleurissent la myrte virginale, l'orange odoriférante à côté de fleurs de cristal brillantes, d'un rouge de corail, et de milliers d'autres fleurs de formes et de couleurs qui n'on jamais été vues. Ces ondines ou sirènes ont des figures délicieuses, éthérées, si fines et si délicates, si gracieuses et si ravissantes, possèdent des charmes et des agréments si supérieurs aux choses terrestres, qu'elles semblent formées de l'écume vaporeuse des ondes, revêtues de la blancheur du lis et de l'émail des roses. Tous les mois, à la pleine lune, elles sortent vers minuit de ces ondes obscures et paraissent à la surface en causant et en folâtrant, prennent leurs ébats et nagent en formant un cercle, traversent le miroir de l'eau, en s'agaçant et faisant mille railleries, forment des rondes gracieuses et savourent à longs traits les délices merveilleuses et les charmes de la nuit éclairée par les rayons argentés de la lune, dont elles ne peuvent jouir dans leur séjour des eaux. Mais le chant du coq, à l'approche de l'aurore, annonçant l'arrivée du jour, les rappelle toutes inévitablement dans leur demeure souterraine. Il arrive bien quelque fois que ces nymphes séduisantes s'arrêtent trop longtemps sur la terre des vivants, que les astres de la nuit se dissipent devant les feux du matin, pendant que les charmantes ondines n'en continuent pas moins leur danses gracieuses, et ne s'aperçoivent pas que le vieux génie du lac, à barbe grise et d'une humeur chagrine, sort du fond des eaux à l'aube du jour, qui succède aux brouillards de la nuit, et d'un ton irrité, enjoint à celles qui tardent de rentrer sans délai.