La légende du trésor de la butte Malbrun à Longny [Longny les Villages (Orne)]

Publié le 13 mai 2024 Thématiques: Âme , Amour , Amour impossible , Avarice , Date précise , Diable , Diable victorieux , Lieu cachant un trésor , Messe , Messe de Noël , Mort , Pauvre , Richesse , Ruse , Souterrain , Temps qui passe , Trésor ,

Un trésor souterrain
Un trésor souterrain. Source Dall-E 3
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Source: Pitard, P. / Légendes et récits percherons (1875) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Butte de Malbrun / Longny les Villages / Orne / France

De tout temps le diable a passé pour être aussi avare que riche et avoir, en certains endroits, des dépôts qui ne sont accessibles aux humains qu'à certaines époques de l'année. La nuit de Noël, par exemple, pendant tout le temps que dure l'élévation, messire Satan est impuissant à défendre ses trésors contre la convoitise des hommes assez osés pour aller les chercher au fond des souterrains qui lui servent de cachettes, mais si celui qui s'y est hasardé n'est pas assez prompt et que le prêtre ait baissé le saint-sacrement avant que sa provision soit faite, malheur à lui! l'entrée des souterrains se ferme et il demeure prisonnier du diable qui, dit-on, ne rend point à la lumière ceux qui ont voulu lui dérober son bien.

Un pauvre clerc d'un procureur au Châtelet, originaire de Longny, s'était épris de la fille d'un riche commerçant juif de la Cité. La demoiselle n'était pas insensible à cet amour, mais le papa, en digne fils d'Israël, ne voulait pas voir le clerc, tant à cause de la misère qui semblait le ronger, qu'à cause de la différence de religion qui existait entre eux. Puis le basochien par ses manières, lui déplaisait : il le trouvait, comme l'étaient alors presque tous ceux de son espèce, sot et pédant, si bien qu'il avait fini par défendre à son patron, Me Griffard, de l'employer comme intermédiaire dans les affaires existant entre eux.
Pendant ce temps, le pauvre amoureux se morfondait. Il connaissait l'aversion qu'éprouvait pour lui le père de celle qu'il aimait et ne savait comment la vaincre. S'il n'y avait eu qu'a changer de religion, il eût été peu embarrassé, un clerc de procureur n'y regardait pas de si près, mais la fortune, comment jamais l'acquérir?

Depuis longtemps déjà il soupirait vainement après un bonheur qui fuyait sans cesse, ses joues se creusaient, ses habits devenaient de plus en plus râpés et il commençait à désespérer d'arriver jamais à son but, quand une idée lumineuse lui passa dans le cerveau.
Il se rappela qu'à un kilomètre de son pays natal se trouvait une butte du nom de Malbrun (Mal, mauvais - brun, couleur présumée du diable), dans laquelle, disait-on, des trésors immenses étaient enfouis.
Satan en personne en était le gardien continuel, mais sa vigilance se trouvait endormie, la nuit de Noël, pendant un moment dont il était difficile, il est vrai, mais pas impossible de profiter.

Notre clerc, ne pouvant plus résister au désir qu'il avait d'être riche, partit donc pour Longny, où il arriva le 24 décembre. S'étant muni d'un grand sac, il se rendit à la butte Malbrun et attendit avec impatience l'heure où ce qu'elle renfermait allait se montrer à lui.

Tout à coup un grand bruit retentit, les flancs de la butte s'entr'ouvrent et des monceaux d'or et de diamants frappent d'éblouissement les yeux de l'amoureux. Alors il se précipite et plonge ses bras dans les trésors.... Son sac commence à prendre du poids, il pense qu'il est temps de partir et fait quelques pas vers l'ouverture, mais il se détourne pour admirer encore, il regrette d'en tant laisser. L'homme est ainsi fait il ne sait jamais borner ses désirs.....
– Bah! encore quelques poignées, se dit-il.

Et il revient vers le tas de diamants. Sa main serre fiévreusement les pierres précieuses qu'il jette dans son sac, puis il veut reprendre sa course..... Fatalité !..... Un fracas épouvantable se fait entendre.... la butte est refermée. Le prêtre avait baissé le Saint-Sacrement et Satan tenait sa victime.

– Au fait, dit ce dernier, cette butte n'est qu'en terre après tout, peut-être est-il possible d'en sortir.
Jetant ses regards de tous côtés, il aperçoit une pioche et une pince, s'en saisit et s'apprête à se mettre au travail. Une pensée le retient.
– Avant, se dit-il, commençons par emplir tout-à-fait mon sac.

Le sac une fois plein, il reprend sa pioche et travaille avec ardeur à se frayer un passage.
Satan, caché dans un coin, le regardait faire en souriant et ne cherchait nullement à le contrarier. Il poussa même la bonté jusqu'à empêcher la faim de venir interrompre sa besogne.

Il travailla longtemps ainsi, bien longtemps, si longtemps qu'une nuit, au moment où sa pioche s'abattit sur une grosse pierre, cette pierre se détachent d'elle-même roula sur le sol et disparut laisant voir au pionnier la voûte constellée du firmament: on était revenu à la nuit de Noël !

Saisir son sac et s'enfuit à toutes jambes fut l'affaire du malheureux. Au bout d'une heure de marche à travers champs, il s'arrête haletant et, regardant son sac, s'aperçut avec stupéfaction qu'il n'était plus qu'aux trois quarts plein. Voulant au moins s'assurer la possession de ce qui reste, il se remet en route, mais s'aperçoit bientôt avec douleur qu'à chaque enjambée qu'il fait treize pièces d'or tombent de son sac et rentrent en terre.
Il arrive enfin à la porte d'une chaumière et la dernière de ses pièces disparaît sous le seuil.

Un clair ruisseau passe là, il s'y penche pour se désaltérer et distingue bien sa figure que l'eau réfléchit.... horreur! ses cheveux sont devenus blancs, des rides profondes ont creusé son front, ses vingt ans ont disparu...... ce n'est plus qu'un vieillard.

Il jette un cri et tombe mort. Un éclat de rire moqueur traverse l'espace et, quand les habitants de la chaumière vinrent voir ce qui avait causé ce bruit, ils ne trouvèrent plus rien; le cadavre avait disparu, Satan avait remporté son bien !

Depuis lors personne n'a été assez hardi pour pénétrer les mystères de la butte Malbrun.


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