La légende du seigneur de Silley et de l'abbaye de la Grâce-Dieu [Silley-Bléfond, Chaux-lès-Passavant (Doubs)]

Publié le 5 janvier 2024 Thématiques: Abbaye | Monastère , Apparition , Chasse , Chasse fantastique , Chasser , Chasseur , Château , Diable , Fondation d'abbaye , Impiété , Noblesse , Nuit , Pèlerinage , Perdu , Repentir , Revenant ,

Abbaye de la Grâce-Dieu
JGS25, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (3 minutes)
Lieu: Abbaye de la Grâce-Dieu / Chaux-lès-Passavant / Doubs / France
Lieu: Château de Silley (ruines) / Silley-Bléfond / Doubs / France

Entre Esnans et Fourbanne, sur la rive gauche du Doubs, on aperçoit de loin, au sommet de la montagne, un donjon en ruine, couronné d'un arbre séculaire, que l'on appelle le château de Silley.

Le nom des anciens possesseurs de ce manoir s'est perdu dans la nuit des temps. On raconte toutefois que vers 1100, le seigneur de Silley était un haut baron, chasseur intrépide et opprosseur implacable des paysans du voisinage. Il foulait sans pitié dans ses grandes chasses les prés, les champs et les vignes. On dit même qu'un cerf, réfugié dans un oratoire, aurait été tué sur les degrés de l'autel par ce seigneur impie.

Un soir de saint Hubert, il s'égara loin des siens à la poursuite d'une louve. Brisé de fatigue, il appelle en vain ses gens, en vain sa trompe fait résonner les échos du val sombre et désert personne ne lui répond... Un sentier, qu'il croit reconnaître, l'égare et le conduit parmi des rochers, où les ronces et les épines forment autour de lui des barrières infranchissables. Réduit, il s'assied sous un arbre, la main sur son épée, et s'endort...

Vers minuit, il est réveillé par d'effroyables abois qui retentissent sous ses pieds dans la forêt. Il ne tarde pas à apercevoir, à la clarté douteuse de la lune qui venait de se lever, une meute de chiens terribles. Un homme fuit devant eux à toutes jambes. Derrière les chiens un veneur à cheval les excite en sonnant une telle fanfare qu'on eût cru que le tonnerre était dans sa poitrine. Si ce n'était le diable, c'était du moins quelqu'un des siens. Le châtelain de Silley suit d'un œil hagard cette chasse infernale. Tout à coup, l'homme qui fuyait devant la meute se trouve arrêté à quelques pas de lui par de hideux squelettes; il tombe aux pieds des chiens affamés. Le diabolique veneur descend de cheval pour faire la curée.

Alors, pour la première fois de sa vie, le châtelain de Silley est saisi d'épouvante; il s'écrie aussitôt d'une voix éperdue: « Jésus Dieu! » A ces mots, chiens et veneurs, tout disparaît, et le châtelain de Silley se trouve face à face avec l'inconnu, qui s'approche et lui dit : « Jeune homme, regarde-moi, je suis ton grand-père. Chasseur comme toi sur la terre, j'ai persécuté sans pitié bêtes et gens ; j'ai fait subir la mort à des villageois que mes piqueurs avaient surpris en délit de braconnage. Quand je mourus à mon tour, la vengeance de Dieu était prête. Depuis ce jour-là, une bande de mes vassaux tués me chasse avec ma meute par monts et par vaux. Chaque nuit, quand je succombe, le diable jette aux chiens mon corps en curée. Que mon exemple te serve de leçon, mon enfant ! prie Dieu pour moi; épargne la moisson et la vie du laboureur et n'oublie jamais que tous les hommes sont frères. » Et le vieux seigneur disparut.

Au point du jour, les piqueurs du châtelain de Silley retrouvèrent leur maître. Ils avaient peine à le reconnaître. Sa barbe et ses cheveux avaient blanchi; dans une nuit il avait vieilli de cinquante ans. Jamais il ne consentit à rentrer dans le château de ses aïeux. Il en fit murer la porte et combler les fossés; il fit mutiler son blason sur le mur pour que son nom même fut à jamais effacé dans le souvenir des hommes; et il s'en alla pieds nus jusqu'à Rome, en mendiant son pain. Il revint absous, vendit tout ce qu'il possédait pour aider à payer la rançon des chrétiens et pour fonder dans le vallon solitaire, où il avait été témoin de la chasse infernale, un vaste monastère, auquel le pape donna ce nom : la Grâce-Dieu. L'histoire nous enseigne que l'abbaye de la Grâce-Dieu a été fondée en 1139, par Richard II de Montfaucon.


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