Voilà ce qu'on disait chez les Dames de Baume:
Vers douze cent cinquante, un jeune gentilhomme,
Qui s'appelait Gaston de la Roche, vivait
Au goût du monde, au sein des plaisirs; il avait
Toutefois conservé la dévote habitude
De dire chaque jour, avec exactitude,
Une courte prière, un Ave Maria
A celle que jamais en vain l'on ne pria.
A l'abbaye, un jour qu'il était de passage,
Un mal soudain le prit, à la fleur de son âge.
Il était venu voir Nicolette, sa sœur,
Qui, dans ce temps, tenait la crosse avec honneur.
Rien ne put prolonger la fragile existence
De Gaston qui mourut sans faire pénitence.
Depuis quelques instants, sur son funèbre lit,
Il gisait, les yeux clos, le visage pâli.
Seule, avec sa douleur, la paupière mouillée,
La Révérende Dame était agenouillée
Dans la chambre et priait pour son frère Gaston,
Pour lui de l'Eternel implorant le pardon.
Tout à coup, au moment où la pieuse Dame
Récitait un Ave, Gaston reprend son âme
Et ses sens. D'une voix douce, il dit : « Chère sœur,
« Me voici de retour en vie. Un confesseur,
« Sans retard, s'il vous plaît. Sachez qu'à l'instant même
« Je viens de comparaître au Tribunal suprême.
« Du supplice éternel, que j'avais mérité,
« L'arrêt irrévocable allait être porté,
« Lorsque la bonne Vierge, accourant à mon aide,
« Près de son Divin fils pour moi-même intercède.
« O prodige! elle obtient que mon âme à mon corps
« Soit un instant rendue, afin que de mes torts
« Je puisse requérir le pardon d'un saint prêtre. »
On vit Messire Henry de Saint-Léger paraître.
C'était du monastère un humble desservant.
Il confessa Gaston, qui put, encore vivant,
Recevoir de ses mains une grâce plénière,
Une grâce efficace, à son heure dernière.
Puis, Gaston trépassa, plein de tranquillité, Avec la paix de Dieu pour son éternité.