La Roche est une petite ville du Faucigny qui, simple chef-lieu de canton, fait constamment échec à Bonneville, chef-lieu d’arrondissement. En attendant qu’elle la fasse mat, elle dame le pion à sa métropole par l’importance de ses tanneries et plus encore par celle de son marché hebdomadaire, qui est sans contredit le plus considérable de la contrée.
A une demi-heure de La Roche, sur le chemin de Saint-Sixt, est un lieu consacré par une pieuse légende et fréquenté par une foule de pèlerins. Ce lieu est marqué par un oratoire et une fontaine. Le clocher de l’oratoire est surmonté d’une statue de la Vierge, et la fontaine s’abrite sous une voûte de pierre dont l’effet est très pittoresque. C’est la Bénite-Fontaine.
A une époque que la légende, suivant ses vaporeuses habitudes, ne prend pas la peine de préciser, de jeunes débauchés de La Roche rencontrèrent sur le chemin une jeune fille qu’ils poursuivirent de leurs propos d’une galanterie licencieuse. Or, cette jeune fille n’était autre que la sainte Vierge en personne. Elle s’enfuit pour échapper aux obsessions de ces libertins. En fait de saint, elle avait à qui se vouer : c’est à son époux qu’elle s’adressa, et le bon saint Joseph lui apparut aussitôt. D’un coup de sa robuste épaule de charpentier, il poussa un quartier de rocher au milieu du chemin et mit une barrière entre sa divine épouse et ses insulteurs. La Vierge eut ainsi le temps de se mettre à l’abri de leurs poursuites, et, comme pour purifier sa robe virginale des atteintes qu’elle aurait pu subir de la part de ces mauvais sujets, elle se plongea toute vêtue dans la fontaine, qui eut dès lors des vertus curatives et sanctifiantes.
Les séducteurs, désappointés, unirent tous leurs efforts et parvinrent, non saps peine, à déblayer le chemin obstrué par le rocher; mais ils y mirent tant de temps que la jeune fille eût tout le loisir de prendre son bain, et elle en sortit transfigurée.
A sa vue, ses persécuteurs se précipitèrent le visage contre terre; la Vierge les invita a tremper leurs doigts dans le bain sacré et à faire le signe de la croix en témoignage de leur repentir. Ils obéirent, et ces débauchés furent aussitôt frappés de la grâce et transformés en modèles de toutes les perfections. Ils se cotisèrent pour construire la chapelle qui atteste leur conversion, et l’on assure qu’ils se relèvent chaque nuit et que l’un d’eux demeure constamment aux abords de la fontaine pour la préserver de toute profanation.