Il y avait autrefois à Baume un jeune homme qu'une fée avait doué au berceau. Il ne paraissait pas destiné à autre chose qu'à devenir un poète : triste lot dans tous les siècles, où toujours l'utile a prévalu sur l'agréable. Il s'appelait André. Jamais, dans son enfance, il n'eut d'entraînement pour les plaisirs qui font le charme ordinaire de la jeunesse. Il fuyait l'école routinière, aussi bien que les jeux bruyants des enfants de son âge. Comme le Minstrel écossais de Béattie, André n'aimait que la solitude. Il passait des jours entiers dans les bois, sur les rochers déserts, au bord. des fontaines ou des torrents, seul, toujours seul.
Cette vie sauvage était un mystère impénétrable pour ses parents eux-mêmes. A quinze ans, il semblait ignorer les choses les plus vulgaires, et quelquefois il étonnait par la justesse des observations qui lui échappaient. Où donc avait-il appris cette langue poétique dont il se servait? Personne ne devinait.
La fée qui avait présidé à sa naissance, c'était Vénéla, c'est-à-dire une muse. Elle le suivait partout. Elle lui apparaissait dans la solitude sous mille formes séduisantes. André eut bientôt pour elle un culte dont rien ne semblait devoir le détourner jamais. Comme il se donna tout entier à la muse, elle se donna toute entière à lui. Epris l'un de l'autre, ils vécurent heureux pendant plusieurs années, dans un doux et chaste commerce. Ce fut le temps ou André composa des vers, comme ceux des lakistes du Nord, dans lesquels il se complaisait à décrire les jolies scènes de rivières et de montagnes que lui offraient à chaque pas les environs de sa petite ville.
Vénéla aurait sans doute inspiré au jeune André des chants dignes de la postérité, s'il fût resté fidèle. Mais il voulut courir le monde, et il ne tarda pas à oublier celle à laquelle il devait le bienfait de son premier amour. Il négligea la poésie et perdit peu à peu tous les secrets de cet art divin. Cependant Vénéla, qui avait fondé sur lui les plus belles espérance, s'abandonna au désespoir. Elle renonça à ses droits immortels et se réfugia, pour mourir seule, dans une grotte sauvage, où elle avait souvent accompagné André et où il avait pour la première fois, devant elle, déplier ses sentiments et ses pensées aux douces lois du vers. Elle gémit si longtemps et versa tant de larmes avant d'expirer, que ses pleurs formèrent au fond de la grotte une source harmonieuse qui porte aujourd'hui son nom.