Un géant moins célèbre [que Gargantua], mais cependant fort connu dans les environs de l'Etivaz, était celui qu'on désignait sous le nom de Pâtho (avec la prononciation du th anglais). Il habitait au sud de la montagne du Gros Jablès, à la Goudaz, pré maigre et très élevé, où se trouve une caverne qu'on appelle encore La tanna au Pâtho (la grotte ou tannière du Pâtho). Aux abords, croît un foin superbe dont les tiges sont presque de la longueur d'un homme. D'après la tradition, la bonne qualité du sol est due au géant d'autrefois. Le Pàtho se montrait rarement. Il ne descendait jamais dans le fond de la vallée et se contentait de visiter de temps à autre les chalets d'alentour. Ses apparitions avaient lieu pendant la nuit ou par les jours de brouillard. Il poussait alors des youlées perçantes qui faisaient courir un frisson dans le cœur des montagnards qui les entendaient. Les nombreux pâtres qui disent l'avoir rencontré sont unanimes pour vanter la force de sa voix et l'énormité de sa taille. La nuit, on le voyait souvent porter une lanterne.
« Mon grand-père, m'écrit le chasseur de chamois duquel je tiens ces détails, gardait jadis son bétail dans l'un des chalets préférés du géant, où se trouvait en service une jeune domestique des Ormonts, à laquelle un voisin rendait quelques visites. Un soir, ce jeune homme hors d'haleine et fou de terreur, se précipite dans le chalet, en faisant sauter la fermeture de la porte. Il raconte que «lo Pâtho, long comme un sapin, » l'avait poursuivi et allait le saisir, lorsque la bienheureuse porte s'était ouverte.
» Un autre soir, au Gros Jablès, les vachers assis près du feu parlaient du Pâtho d'une manière peu respectueuse. L'un d'eux, en voulant regarder dehors par un guichet, reçut en pleine figure un souffle chaud provenant de la respiration du colosse qui les écoutait. Son visage se couvrit aussitôt de vessies et sa tête enfla prodigieusement.
» Dans un autre chalet, au Bronzer, le Pâtho s'amusait à faire des farces et des inconvenances. A diverses reprises, des fromages gonflèrent comme des outres, malgré les quintaux de pierres dont on les chargeait. On voyait souvent l'être extraordinaire assis ou couché, au clair de la lune, devant les fenêtres de la maison. Le propriétaire vendit le pâturage pour échapper à toutes ces tracas-series. »