La légende de la fête de Saint Barnabé [Saint-Martin-d'Entraunes / Alpes-Maritimes / France]

Publié le 22 mars 2025 Thématiques: Chapelle , Destruction , Fête , Impiété , Légende chrétienne , Orage , Punition , Saint Barnabé , Saint | Sainte ,

Chapelle Saint-Barnabé
Chapelle Saint-Barnabé. Source Michel Monteil via Google Maps
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Source: Chanal, Édouard / Contes et légendes du pays niçois (1895) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Chapelle Saint-Barnabé / Saint-Martin-d'Entraunes / Alpes-Maritimes / France

« Saint Barnabé revenait d'Espagne en Italie, semant autour de lui la parole de Dieu.

« Il avait pris à travers les Alpes, n'ayant que trop de raisons d'éviter le littoral qui était alors au pouvoir des païens avides de faire couler le sang des martyrs dans leurs amphithéâtres d'Arles, de Fréjus, ou de Cimiez.

« Mais la dernière étape d'un voyage rempli de traverses avait épuisé les ressources et exténué les forces du saint vieillard; si bien qu'il tomba de fatigue et de faim à la descente des Aiguilles de Pélens, comme il arrivait à ce plateau si vert qui domine Saint-Martin de quatre à cinq cents mètres, et sur lequel devait être construite une chapelle en mémoire de sa bienvenue.

« Encore qu'on fût au onze juin, une brise vivifiante tempérait l'ardeur du soleil et mettait en liesse la nature entière. Barnabé qui, en se laissant choir pesamment sur le sol, avait recommandé son âme à Dieu comme au moment de rendre le dernier soupir, se sentit renaître durant un court sommeil, et, rouvrant les yeux, vit venir à lui un gros de population, jeunes filles en tête, avec des brassées de fleurs pour lui faire une couche, du pain et du lait pour ranimer ses forces.


« Jamais, au cours de sa vie apostolique, il n'avait rencontré physionomies plus avenantes, âmes plus candides, esprits plus ouverts à la parole de Dieu : il se voyait, à sa grande surprise, transporté sur un coin de terre déjà chrétien par ses sentiments naturels, tant il était étranger à toutes les passions dont la malice de Satan a insufflé le feu au cœur des autres humains.

« De plus, la magnificence du site, encadré par le vaste cirque des montagnes, vertes à la base et blanches au sommet, la limpidité des eaux vives, la parure printanière de la prairie ainsi que du verger, et la pureté du ciel radieux, captivaient si puissamment ses regards qu'il implora du Très-Haut la grâce d'achever dans ces lieux d'élection ses derniers jours mortels.

« Mais notre Père céleste, qui avait d'autres vues sur Barnabé, son serviteur, le lui fit entendre clairement ; et alors, le saint homme reprit son bâton de voyage et se remit en route, sans un murmure, mais non sans promettre à ceux qu'il quittait les larmes aux yeux, que jamais leur sol hospitalier ne refuserait à ses habitants les céréales nécessaires à leur subsistance.

« Mais depuis lors aussi, à chaque retour du onze juin, ce fut grande fête carillonnée à Saint-Martin-d'Entraunes, et, comme il n'est pas de bonne fête sans lendemain, il y eut, dans l'an, deux jours qui n'appartinrent qu'à saint Barnabé.

« Et n'allez pas croire que, du haut du ciel, d'où les grandeurs terrestres, rapetissées par la distance, font sans doute assez piètre figure, l'auguste patron de la paroisse soit indifférent à l'honneur qui lui est rendu par la reconnaissance de ses humbles obligés ! Je n'en veux pour preuve que le fait suivant, très ancien, mais très authentique.

« Une année qu'on avait cru pouvoir, pour une raison ou pour une autre, remettre du mercredi au dimanche suivant la célébration de la fête patronale, il survint, entre le onze et le quinze juin, un orage accompagné d'un tel déluge, qu'on trembla de voir le village, les hameaux et le territoire lui-même descendre tout ensemble dans le lit du Var impétueux.

« Et, en effet, par chaque pli de terrain, des cascades de rochers bondissaient parmi les flots écumants : des forêts de mélèzes dix fois centenaires en furent rasées et emportées en tourbillonnant ainsi que des pailles de seigle ; des brèches énormes se creusèrent au milieu des campagnes les mieux abritées ; enfin on ne comptait plus les têtes de bétail submergées, foudroyées, ou abattues par des grêlons tels que de gros cailloux; et, comme les bergers ou les cultivateurs n'étaient pas plus épargnés que les troupeaux ou les récoltes, ce fut, dans toutes les familles de la vallée, une désolation dont le souvenir s'est perpétué jusqu'à nos jours.

« Aussi, instruit par une si terrible épreuve, n'eût-on pour rien au monde, durant une longue série de générations, manqué derechef à l'usage qu'une tradition pieuse avait érigé en loi.


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