La légende de l'origine du nom de la montagne de l'Estrop [Péone (Alpes-Maritimes)]

Publié le 9 mars 2025 Thématiques: Berger , Invocation Dieu ou saints , Nom , Origine d'un nom , Sorcellerie , Sorcier , Téléportation ,

Sommet de la montagne de l'Estrop
Sommet de la montagne de l'Estrop. Source Mercantour, un blog
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Source: Chanal, Édouard / Contes et légendes du pays niçois (1895) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Montagne de L'Estrop / Péone / Alpes-Maritimes / France

[...] « Voici, par exemple, en face de nous, la montagne de Strop qui doit tout uniment son nom de couleur un peu tudesque à un berger arlésien.
— « Serait-ce encore une légende ?
— « Oh ! ne vous attendez pas à grand'chose !...
— « Il vous plaît à dire!... Quoi qu'il en soit, ne me faites tort de rien, je vous en supplie.

— « Je n'y mets pas d'amour-propre, — répliqua le narrateur avec bonhomie, — car il n'y a pas de quoi, j'ai eu soin de vous en avertir !...

« Le berger d'Arles prenait donc ici ses quartiers d'été en compagnie de ses blancs moutons dont le tête-à-tête, pour si récréatif qu'il fût, n'empêchait pas le mal du pays de lui faire broyer du noir : le pauvre exilé dépérissait visiblement !

« Un soir qu'étendu dans sa cabane en pierres sèches, il songeait amèrement qu'il lui restait deux longs mois à se morfondre à la bise des Alpes, sans entendre sonner à ses oreilles les notes du suave idiome provençal, parfumées d'aiolli, il résolut d'écrire à son patron pour lui demander un auxiliaire qui lui fut aussitôt accordé et qui lui arriva comme en poste.

« Or, figurez-vous que le nouveau venu n'était ni plus ni moins qu'un sorcier authentique, mais un sorcier bon enfant, et d'une si divertissante compagnie, que le fébricitant gardeur de moutons, vite guéri de sa nostalgie, n'était plus réveillé chaque nuit que par les sollicitations de son estomac, qui avait un arriéré à satisfaire.

— « Rien ne manquerait plus à mon bonheur, — dit-il une fois, — si je pouvais corriger l'eau de source qui me glace les dents à l'aide d'une petite bonbonne du vieux vin cordial de notre patron.

— « Qu'à cela ne tienne ! — répondit l'autre ; — mets ton pied droit sur mon pied gauche, et retiens bien ton souffle ! En un clin d'œil, je t'aurai transporté par les airs jusque dans la cave où notre gourmet de maître et seigneur collectionne ses meilleurs crus, qu'il achète, sans compter, sur le produit des moutons élevés par nos soins.

« N'est-ce pas justice que nous en connaissions à notre tour le bouquet, que nous nous garderons bien de gâter par un vil mélange de neige fondue? » .


« En un clin d'œil ce fut chose faite !

« Ce n'était pas une cave pleine, que possédait le riche propriétaire, mais toute une série de caveaux parallèles, bordés de véritables murailles de bouteilles échafaudées avec art, de manière à présenter alternativement le fond à travers lequel brillait la chaude liqueur, ou jaune, ou rose, ou rouge, ou pelure d'oignon, et le goulot encapuchonné de cire bleue, verte, noire, blanche ou autre, suivant l'acte de naissance des vins.

« Par malheur, le berger arlésien fit comme J.-B. Payan, du Prapelet, au banquet des francs-maçons : il ne put retenir le cri de son admiration, proféré dans sa formule familière :
— « Jesu Maria ! »

« Vous connaissez déjà, monsieur, la vertu de ces deux mots latins sur tous les charmes diaboliques qui en sont interrompus incontinent. Ainsi l'admirateur imprudent n'eut pas la satisfaction de déboucher une seule de ces alléchantes bouteilles. Sans s'aviser qu'il eût fait le moindre mouvement, il se retrouva entre les pierres sèches de sa cabane des Alpes ; du même coup, le sorcier bon enfant lui faussait compagnie à son grand chagrin.

— « Aco ès trop! » - s'écria-t-il de sa voix la plus furieuse en langage provençal, comme il eût dit en bon français : « c'est trop fort ! »

« L'écho voisin répéta : Strop! —Voilà pourquoi, à partir de ce moment, le pâturage où son troupeau passait sa villégiature estivale s'est appelé dans le pays la montagne de Strop.


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