La légende de l'origine des citrons de Menton [Menton (Alpes-Maritimes)]

Publié le 16 février 2025 Thématiques: Adam et Eve , Citron , Origine , Plante , Richesse , Ville , Vol ,

Citrons de Menton
Citrons de Menton. Source Tangopaso, Public domain, via Wikimedia Commons
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Source: Chanal, Édouard / Contes et légendes du pays niçois (1895) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Producteur de citron (un au hasard) / Menton / Alpes-Maritimes / France

Peu après la naissance du monde... — Écrivain, si vous passiez au déluge?... — Vous êtes bien bon, ami lecteur! mais il ne m'est pas loisible, car l'historien mentonnais qui me dicte mes premières pages, me force de remonter le cours des temps jusqu'à l'exode d'Adam et d'Ève chassés du paradis terrestre.

Voici donc, si vous le permettez, lecteur, ce que les natifs de Menton, à l'imagination poétique, racontent à l'étranger qui s'extasie devant l'incomparable séduction de leur paysage :

« Lorsque nos premiers parents durent quitter les bocages de l'Eden, notre mère Ève, plus dépitée et mutine que confuse et repentante, pétillait d'emporter de ce lieu de délices un souvenir quelconque, de nature à en perpétuer l'image aux yeux des générations à naître.

« Mais elle ne pouvait s'en remettre pour cela à la présence d'esprit du pauvre Adam, inconsolable d'avoir cédé à une autre de ses fantaisies, et qui s'évadait piteusement, la tête basse et les cheveux en brosse, terrifié par le glaive flamboyant de l'ange commis pour jeter à la porte les époux disgraciés.

« Ils étaient enfin parvenus à cette porte, « qui n'est plus passable au retour », quand l'incorrigible femme avisa un citronnier couvert de ses fruits d'or. Elle choisit son moment pour se retourner, feignant d'adresser un adieu pénitent à son divin berceau, et, dans un geste savamment désespéré, elle agrippa un des plus beaux fruits à sa portée, sans que l'ange, innocemment ému d'une si dramatique douleur, se méfiât de son larcin.

« Une fois dehors, Ève fit tomber un regard de dédain sur son compagnon affaissé, en lui mettant sous le nez le citron qui fut aussitôt mouillé d'une rosée amère.

— « Malheureuse ! — s'écria le proscrit avec effarement ; — est-ce encore le serpent qui t'a fait ce cadeau?... Jette au diable ce fruit défendu !

— « Je le jetterai, en effet, — répondit la futée, — mais sur un sol où il puisse foisonner à l'aise, et qui nous rappelle agréablement notre patrie perdue. Homme de peu de tête, tu as du moins bon pied et bon œil : marche et observe !

— « Marchons donc, — répliqua le résigné conjoint, — puisque ma destinée est de t'obéir, en dépit que j'en aie ; mais nous aurons beau, hélas! nous écarquiller les yeux, nous ne reverrons pas un autre paradis terrestre.

— « C'est à savoir! — dit Eve de sa voix mutine; — relève ce front courbé, sèche tes yeux, et en avant! »

« Ils vont d'un pas léger, infatigablement, ainsi que gens dont les jarrets ne sont point encore usés.

« Ils parcourent, comme à tire-d'aile, d'interminables espaces, à travers les déserts, les oasis, les fleuves, les névés, les puys, les plaines, depuis le plateau de Pamir jusqu'aux rivages de la Méditerranée, sans rencontrer le coin de terre objet de leurs vœux, lorsqu'un beau matin les voilà qui débouchent sur la plage inclinée du futur Menton-Garavan, qu'ils se mettent à considérer doucement frissonnante des caresses de la brise et des baisers du soleil levant :

— « Halte! C'est ici! » dit notre mère Eve; et elle jette à quelques pas le citron précieusement conservé, en ajoutant ces mots :
— « Croîs et foisonne, ô fruit du ciel ! dans ce jardin digne de toi ! »

C'est ainsi que les Mentonnais d'aujourd'hui, gens aussi avisés qu'imaginatifs, vendent annuellement jusqu'à quarante millions de ces citrons dorés, ou limons, qu'ils ont le privilège unique de voir mûrir sous tous les signes du zodiaque, par la vertu de leur perpétuel printemps.

Et ce n'est pas le plus clair de leur revenu ! [...]


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