La légende des fées du Lac Noir [Plaffeien / Sense District / Suisse]

Publié le 18 février 2025 Thématiques: Animal , Bonne fée , Cygne , Elever des enfants , Enfant , Fée , Lac , Mort , Tristesse ,

Le Lac Noir
Le Lac Noir. Source NoraPlethora, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Genoud, J. / Légendes fribourgeoises (1892) (5 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Lac noir (Schwarzsee) / Plaffeien / Sense District / Suisse

Qui ne connaît, au pied du Kaiseregg, le plus joli lac qu'on puisse désirer ? Quel plaisir de naviguer en rêvant sur ses eaux pures et tranquilles Les rives si paisibles qui encadrent le Lac-Noir, les riches pâturages des environs, les fertiles prairies émaillées de fleurs, les troupeaux qui bondissent joyeux sur les hauteurs, les chants des montagnards, tout concourt à poétiser cette modeste retraite.

Un matin, un jeune enfant était assis près de la fontaine d'un chalet. Il s'amusait à détacher de leur tige des œillets sauvages et à les jeter dans le bassin limpide.

Il était tout occupé à les voir surnager, lorsqu'un papillon aux ailes de pourpre se posa sur une fleur et la mit en mouvement. Quoi de plus charmant que ces ailes de l'insecte semblables aux petites voiles d'une mignonne barque? Soudain un léger souffle fit chavirer la délicate embarcation. L'œillet descendit sous l'eau, mais le papillon s'éleva rapidement vers le ciel. L'enfant ne le perdit point de vue et le vit bientôt s'abaisser vers la terre, mais tout à coup il disparut sur les rives du lac. Alors, tout désolé, le petit infortuné s'assit à l'ombre d'un sapin et s'endormit.

De beaux rêves vinrent le réjouir. Il voyait à ses côtés son ange gardien agiter ses ailes pour rafraîchir l'air; trois autres anges lui présentaient des bouquets aussi brillants que des pierreries; des colombes venaient enfin lisser ses cheveux de leur bec d'ivoire.

Un bruit mystérieux le réveille subitement. Il regarde. Une espèce de radeau s'avance vers lui, des battements d'ailes encore invisibles agitent les eaux du lac, les roseaux se courbent pour laisser un passage libre.

O miracle! trois cygnes, blancs comme la neige, sortent du milieu des joncs. L'enfant se rassure, leur jette des miettes de pain et les suit d'un œil d'envie dans leur promenade sur le rivage. En posséder au moins un, telle est maintenant son ambition. Il les appelle, il les invite, il s'approche prudemment, il leur tend la main, il s'aventure même sur le fragile radeau et le pousse jusqu'au milieu du lac.

Alors, accablé de fatigue, le rameur improvisé regarde autour de lui, ne voit que dans le lointain la terre ferme et pousse un cri de frayeur.

Gentils cygnes! Comme s'ils comprenaient les angoisses de l'enfant, ils s'approchent pour lui servir de compagnie. L'imprudent se penche en avant pour les saisir, mais déjà c'est trop tard, et il disparaît lui-même dans les profondeurs des ondes bleues.

Nul ne sait ce qui survint alors. Mais quand il sortit de son étrange évanouissement, il était couché dans un lit de velours, aux coussins ornés de dentelles. L'erreur n'était plus possible il se trouvait dans le boudoir d'un magnifique château de fées. Trois fées, en effet, veillaient à ses côtés. Leur visage était blanc comme le lys et leurs yeux noirs comme la nuit. Egalement jeunes, également bonnes, également éblouissantes de grâces, elles dirent à l'enfant émerveillé :
– Sais-tu, cher petit, qui t'a conduit auprès de nous ?
– Non, belles dames; je poursuivais des cygnes sur le Lac-Noir, je suis tombé à l'eau, et je n'ai plus souvenance de ce qui s'est passé.
– Veux-tu demeurer dans notre palais? Nous te raconterons des histoires. Nous te donnerons pour t'amuser une biche, des perroquets, un cheval qui te promènera dans notre parc aux richesses variées. Réfléchis bien, car après trois jours écoulés dans notre société, tu ne supporteras plus l'air de la terre.
– Où est le joli cheval? s'écria l'enfant ravi, indifférent à l'égard des autres choses.
– A l'écurie. Il t'attend.
– Je reste! je reste! Vite à l'écurie !

Il traversa plusieurs appartements rivalisant entre eux de beautés, de variétés et de splendeurs, puis il pénétra dans l'écurie en marbre. Douze palefreniers en livrée entouraient le coursier de leurs délicates attentions. Un écuyer souleva l'enfant et l'assit sur le cheval qui partit au trot. Les allées ombreuses, les bois parfumés, les vergers pleins de dattiers et d'amandiers, mille autres choses charmantes et nouvelles pour lui, voilà ce qu'il vit dans une course d'une heure qui s'écoula comme une minute.

– Où est le bon Dieu ? demanda-t-il à son retour aux trois bonnes sœurs.

L'heureux enfant se croyait en paradis. L'illusion dura plusieurs mois, car chaque jour lui réservait des surprises et des jouissances inespérées. Pourtant, au bout d'une année, il soupira après le chalet de ses parents. Dès ce moment, tous les instruments de son bonheur lui devinrent à charge et il connut de nouveau l'amertume des larmes.

En vain les jeunes filles cherchaient à le consoler : il ne pouvait ni leur confier la cause de son chagrin ni se résigner plus longtemps à cette étrange félicité.

Un jour, après une longue excursion sous les voûtes verdoyantes du parc, il se coucha au pied d'une colline et se mit à pleurer. Enfin, découragé, il s'endormit.

L'ange des rêves le toucha de sa baguette et il vit en songe l'image des lieux qu'il avait quittés. Il voyait son père et sa mère désolés et l'appelant toujours. Les génisses bariolées venaient lui lécher le visage et les mains, les agneaux mangeaient sur ses genoux, les chevreaux gambadaient sous ses yeux; plus loin, les pâtres chantaient, les ruisseaux couraient en causant, le gai carillon des clochettes réjouissait toute la contrée, enfin on sonnait l'Angelus à la chapelle du Lac-Noir. Ce beau spectacle l'émut profondément et l'arracha à son sommeil.

Affreux réveil ! La vision a disparu. Il pleure et il crie, mais nul écho ne lui répond. Pourtant, tout à coup, il croit entendre prononcer son nom. Il se retourne. Horreur ! Une vieille femme ridée, aux yeux creux, au menton pointu, au nez recourbé, marchait à l'aide d'un pieu et s'approchait.

L'enfant frissonne et veut fuir, mais ses jambes refusent tout service.
– Charmant enfant, glapit la vieille, puisque tu t'ennuies ici, je te ramènerai chez tes parents, si tu veux leur demander pour moi l'hospitalité jusqu'à la fin de mes jours.
– Jamais! jamais! s'écria l'enfant épouvanté. Comment serais-je assez ingrat pour abandonner mes bienfaitrices et me confier à ta direction?

A ces mots, la rebutante apparition se rapetissa, puis s'évanouit dans un tourbillon de poussière.

L'une des trois sœurs avait entendu ce court entretien.

Puisque tu n'es pas parjure à ta promesse, dit-elle, et que tu ne penses qu'à la maison paternelle, demain ton vœu sera exaucé.

Pendant le reste de cette journée, deux sentiments agitèrent le cœur de l'enfant, le plaisir de revoir sa famille et le regret de se séparer des bonnes fées.

La nuit, un long rêve ne fut que la continuation de ces mêmes réflexions. Quand il ouvrit les yeux, il était étendu sur le gazon, à l'ombre du sapin sous lequel, quatorze mois auparavant, il s'était assoupi.

Trois cygnes se poursuivaient dans les roseaux du lac. Il leur jeta des mûres sauvages, les oiseaux levèrent la tête, le saluèrent gracieusement et disparurent sous l'onde.

Au même instant, un papillon sembla sortir de l'eau pour voler vers la montagne. L'enfant prit la même direction et tomba bientôt dans les bras de ses parents émerveillés.

Puis quelques belles semaines s'écoulent au milieu des charmes de la vie de famille. Mais l'automne arrive, il faut quitter la montagne et redescendre dans la plaine. Auparavant, l'enfant retourne sur les rives du lac pour revoir les trois bonnes sœurs. Aucune fée ne se montre, aucun cygne n'apparaît.

Enfin, la veille du départ pour le village, il court vers le lac par le sentier le plus direct. Epuisé par une marche trop précipitée, il s'affaisse sur le rivage, murmure quelques mots et expire.

Alors les cygnes ont entendu son suprême appel, ils sont venus à la hâte, ont creusé une fosse et l'ont enseveli.

Aujourd'hui encore, à l'heure du coucher du soleil, on les entend pleurer l'enfant qui les aimait.


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