La légende de Saint Voué et la rue du Mont-Revers [Soissons (Aisne)]

Publié le 25 février 2024 Thématiques: Abbaye | Monastère , Âme , Cathédrale , Diable , Diable défait , Feu , Guérison , Ile , Légende chrétienne , Miracle , Pèlerinage , Saint | Sainte , Saint Voué , Tour ,

Rue du Mont-Revers à Soissons
Rue du Mont-Revers à Soissons. Source Delcampe
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Source: Poquet, Alexandre / Les légendes historiques du département de l'Aisne (1879) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Vestige de l'abbaye de Notre-Dame de Soissons / Soissons / Aisne / France
Lieu: Rue du Mont Revers / Soissons / Aisne / France

Parmi les Thaumaturges qui ont illustré nos contrées par l'éclat de leurs vertus et leurs luttes avec l'esprit de ténèbres, Saint Voué est resté célèbre dans nos chroniques soissonnaises. Voué ou Vodoal, Vodoalus, était originaire d'Ecosse où il avait pris l'habit religieux et reçu les ordres sacrés. Mais, séduit comme la plupart de ses compatriotes, les insulaires hiberniens et irlandais, par le goût des pèlerinages lointains de Rome et de la Palestine, si fréquents au VIIe siècle, il avait quitté sa patrie pour passer en Gaule. S'étant arrêté à Notre-Dame de Soissons en qualité de voyageur, il fut si édifié de la charité avec laquelle on l'accueillit et de la vie sainte qu'on menait dans cette maison, qu'il demanda à l'abbesse Hildegarde de rester dans une communauté où l'on servait Dieu avec tant de zèle. Sa prière fut exaucée.

Mais bientôt, soit désir d'une vie plus ignorée, soit amour d'une perfection plus grande, Saint Voué sollicita la permission d'habiter en dehors du couvent ; une petite cellule, hospitiolum, joignant les remparts romains qui entouraient le monastère à l'est. Saint Voué s'étant enfermé dans cette cellule, bâtie en forme de tour, y vécut pendant plusieurs années dans une retraite profonde. Son genre de vie austère, ses progrès dans la vertu, en même temps qu'ils faisaient la joie des anges, firent le désespoir du démon, au point que le tentateur, humilié de ses défaites, eut recours à la ruse pour le faire déguerpir de son pieux asile.

Un jour donc que l'abbesse Hildegarde, qui avait en grande estime le serviteur de Dieu, lui avait envoyé son repas quotidien dans un plat d'argent, le saint, dit son biographe, qui se nourrissait plus souvent du pain des larmes que d'autres viandes, fit donner cette nourriture à un pauvre qui habitait près de sa cellule. Mais cet ingrat à qui Voué donnait ordinairement la meilleure part de ce qu'on lui envoyait, emporta, le plat d'argent et, après en avoir mangé le contenu, il s'enfuit et ne reparut plus. L'abbesse, fâchée de cette perte, en manifesta son mécontentement au saint reclus qui, tout en se prosternant en signe d'humilité, crut voir dans ces reproches immérités un avertissement du ciel qui l'engageait à reprendre le cours de ses pèlerinages.

Après une absence de neuf ans, employés sans doute à visiter maints lieux saints, le voyageur, se sentant accablé de fatigues et d'infirmités songea a retourner en Ecosse. Il s'embarque donc, malgré une fièvre brûlante, et l'abandon dans lequel le laissèrent les passagers dans la cale du navire. Heureusement le ciel veillait sur lui et une furieuse tempête ayant mis le vaisseau en danger de périr, ouvrit les yeux au pilote et à son équipage, en leur faisant reconnaître l'acte d'inhumanité dont ils s'étaient rendus coupables envers ce saint personnage.

Graces à cet incident, le pauvre malade se vit entouré de tous les soins que réclamait sa position. Soudain l'orage cessa et, la nuit suivante, Voué reçut la visite d'un ange qui ne se contenta pas de le guérir, mais qui lui promit de la part de Dieu que ceux qui imploreraient son assistance dans les maladies du genre de la sienne seraient soulagés. Le messager céleste lui enjoignit en même temps de retourner dans sa première solitude où Dieu le voulait voir finir ses jours. Puis, lui mettant en main un bâton de voyage fait en forme de croisillon, il l'assurait que le feu n'aurait pas de prise là où ses reliques reposeraient.

A son retour, qui avait fait grand bruit, constaté bien des fois que les pauvres fiévreux qui prenaient avec foi ces médicaments s'en trouvaient soulagés et souvent guéris. (Annales du Diocèse de Soissons.)

Voué fut reçu avec acclamation par la ville, car le Démon qui avait été l'auteur secret de son éloignement, se vit forcé d'annoncer son arrivée par un serviteur de l'abbaye qu'il tenait en sa possession et qui se mit à crier : « Levez-vous, allez au-devant de Voué, qui revient en l'abbaye pour me chasser. » L'effet suivit de près la nouvelle, et le saint, à l'exemple de saint Benoît qui avait chassé le démon du corps d'un moine en lui donnant un soufflet, le délivra au même instant.

Pour s'en venger, l'esprit malin avait mis le feu à la cellule qu'il avait retrouvée avec tant de joie. Comme la porte était fermée au dehors, ainsi que cela se pratiquait pour les reclus, le diable se mit à crier que Voué périrait par les flammes avant qu'on pût le secourir. Mais son bon ange le délivra et le transporta dans une petite île que formait la rivière d'Aisne près de son habitation et éloigna cet embrasement infernal.

La tradition, comme un fleuve qui se grossit par les divers affluents qu'il reçoit dans son cours, a vu aussi des légendes nouvelles s'ajouter aux anciennes et se confondre avec elles. C'est ainsi que s'explique le fait assez original concernant la rue du Mont-Revers, où les historiens soissonnais supposent que jusqu'au temps de Saint Voué le démon emportait la treizième personne qui passait en cet endroit. Sur quoi Saint Voué, pour déjouer les intrigues du Diable avait exhorté le peuple de la Cité au jeûne et à la prière; puis, ayant prescrit une procession solennelle, il avait fait passer devant lui douze personnes bien disposées, d'autres disent les douze enfants de chœur de la cathédrale. Pour lui, il se présenta le treizième, en habits sacerdotaux et portant l'étole au cou. Satan avait paru aussitôt pour l'enlever, comme il avait fait des autres. Mais le serviteur de Dieu lui avait commandé avec autorité de vider le quartier et de se retirer aux enfers.

Forcé d'obéir à ce pouvoir extraordinaire, le diable l'aurait supplié de ne pas le renvoyer en ces abimes et de lui assigner une retraite moins malheureuse. Le saint l'avait envoyé alors dans la rivière d'Aisne, au-dessous de la tour Lardier. C'est sans doute à cette tradition fabuleuse qu'est dû l'ancien usage qui obligeait chaque année un prêtre d'aller conjurer le démon dans cette tour où il était censé faire sa résidence, ou du moins dans le voisinage, remplaçant peut-être par cette simple cérémonie la procession annuelle qu'on faisait anciennement à cette tour, sanctifiée par les larmes et la pénitence d'un saint.

Toutefois, il est aisé de voir que cette histoire, assaisonnée de nouveaux détails, n'est guère que la contrefaçon de la délivrance de ce serviteur de l'abbaye, comme les autres faits touchant les guérisons et l'extinction des incendies ne sont que les développements que les siècles suivants ont donné aux légendes primitives.


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