Marie Gouriou demeurait au village de Min-Guenn (la Pierre-Blanche), près de Paimpol. Son homme était à Islande, où il faisait la pêche.
Ce soir-là, Marie Gouriou s'était couchée, après avoir placé sur le banc-tossel (Le banc adossé au lit.), tout contre son lit, le berceau où dormait son petit enfant.
Elle était assoupie depuis quelque temps, lorsque dans son sommeil elle crut entendre l'enfant pleurer. Elle ouvrit les yeux, regarda.
Jésus-ma-Doué! (Jésus mon Dieu!), la chambre était pleine de lumière, et un homme, penché sur le berceau, berçait doucement le petit, en lui chantant à mi-voix un refrain de matelot. L'homme avait rabattu sur son visage le capuchon de son ciré, en sorte qu'on ne pouvait distinguer ses traits.
– Qui êtes-vous? s'écria Marie Gouriou, épouvantée.
L'homme leva la tête. La femme Gouriou reconnut son mari.
– Comment! tu es déjà de retour?...
Il n'y avait guère plus d'un mois qu'il était parti. Elle remarqua que ses habits ruisselaient, et cela sentait très fort l'eau de mer.
– Prends donc garde, dit-elle, tu vas mouiller l'enfant... Attends, je vais allumer du feu.
Elle avait déjà les deux jambes hors de son lit et s'appretait à passer son jupon. Mais la lumière étrange qui emplissait la maison s'évanouit aussitôt. Marie chercha à tâtons les allumettes, en frotta une, et constata que son mari n'était plus là.
Elle ne devait plus le revoir. Le premier chasseur (navire qui revient le premier) qui revint d'Islande lui apprit que le navire où s'était embarqué son homme s'était perdu corps et biens, la nuit même où Gouriou lui était apparu penché sur le berceau de son fils.
(Conté par Goanvic, cantonnier – Paimpol)