[...] Sainte Salaberge se [trouvait] un jour à la Moncelle, dépendance d'Ardon, où son abbaye possédait un plantureux potager. Un orage terrible éclata, et telle fut la frayeur qu'inspiraient le tonnerre et les éclairs mêlés à la pluie qu'une pauvre biche, chassée des bois voisins par la peur, vint, toute haletante, se réfugier auprès de sainte Salaberge et ne voulut plus la quitter. On dit que la Sainte adopta le craintif animal et qu'elle voulut qu'on lui conservât la vie. On ajoute même que l'animal reconnaissant, devenu comme une douce compagne de l'abbesse, portait au cou une sonnette argentine dont l'effet après sa mort fut de guérir de la fièvre tous ceux qui s'en servaient pour boire de l'eau de la fontaine de la Moncelle.
La tradition assure aussi que quand sainte Salaberge venait à la Moncelle, la petite rivière de l'Ardon s'ouvrait à son approche pour lui donner passage à pied sec. Or il paraît qu'un jour, soit distraction, soit besoin d'appui, la Sainte s'était emparée d'un échalas qui se trouvait dans un champ contigu au chemin et elle marchait sans inquiétude. Arrivée sur le bord de l'Ardon, voici que l'eau coulait, coulait toujours. Sainte Salaberge comprit sa faute et l'ayant aussitôt réparée, elle revint vers la rivière qui lui livra le passage accoutumé.
C'est sans doute en mémoire de ces événements qu'on représente toujours la Sainte en compagnie de sa biche bien-aimée et un échalas à la main pour rappeler ces deux faits. Aussi les bonnes mères d'Ardon ne manquent pas de dire à leurs enfants: « ne prends jamais rien à personne, souviens-toi de sainte Salaberge.» Morale édifiante que l'enfant n'oubliera jamais, et qu'aucune morale civique ne remplacera.