Braine possédait au siècle dernier une magnifique église dédiée à Saint-Ived; évêque de Rouen. Condamné dans les mauvais jours de la Révolution, ce temple longtemps proscrit n'est sorti des mains de ses premiers restaurateurs que mutilé et affreusement tronqué, ce qui ne l'empêche pas de montrer dans ce qui en subsiste une structure splendide et savante qui en fait encore aujourd'hui un objet d'étude et d'admiration, surtout après les beaux travaux de consolidation entrepris de nos jours dans le style du monument.
Commencée aux belles époques où le roman fleuri se voyait détrôné par l'ogive dont la hardiesse osait tout, cette construction, si nous en croyons Mathieu Herbelin, prieur de cette abbaye, fut poussée avec une rapidité prodigieuse; puisque ce grand ouvrage « fust faict et accomply en sept ans et sept jours. »
Voici comment cet historien rapporte ce fait :
« Au temps que la notable dame Agnès, comtesse de Dreux et de Brayne, faisoit bastir et édiffier l'ouvrage dicelle esglise, y avoit douze maîstres maçons,lesquels avaient le regard et congnoissance par dessus tous les aultres ouvriers, tant en taillant les images et ouvrages somptueux dicelle esglise comme à conduire ledict œuvre. Et combien que en faisant et conduisant ledict ouvrage par chacun jour se trouvaient continuellement et journellement treize maîstres, néanmoins, au soir et en payant et sallariant les dicts ouvriers, ne se trouvoient que les dicts douze maistres. Pourquoy, l'on peut croire et estimer que c'était ung œuvre miraculeux et que nostre seigneur Dieu amplioit le dict nombre treize. Tout lequel ouvrage, ainsi comme on peut verre présentement, fust faict et accomply en sept ans et sept jours, ainsi que l'on trouve par les anciennes croniques de la fondation de la dicte église.
Cette grâcieuse et naïve légende, ajoute M. Prioux, se reproduit fréquemment au moyen âge; et si nous pouvons difficilement, aujourd'hui que la foi est devenue plus austére et la science plus sceptique, rendre à ces jeux de l'imagination leur véritable caractère, nous n'en devons pas moins les transmettre fidèlement aux générations à venir, qui en feront peut-être sortir un jour des trésors de poésie dont nous n'avons ni le goût ni l'idée. L'historien ne saurait y voir qu'une induction sur la prodigieuse célérité qui signala la construction de l'église de Braine, dont la fondation remonte à la date de 1180, adoptée par tous les historiens. (Bull. de Soissons, t. 9, p. 10).
Ne pourrait-on pas voir aussi dans ce fait extraordinaire une preuve non seulement de l'activité merveilleuse déployée en cette circonstance mais aussi un indice du grand nombre d'ouvriers employés à cette grande construction; puisque 12 maîtres ès-œuvres semblent ne pouvoir suffire pour guider et surveiller de telles opérations. Ce treizième maître, cet artiste inconnu, qui travaille sans rétribution, qui pousse si lestement la besogne qu'on le prend pour un envoyé de Dieu, ne désignerait-il pas ces associés volontaires et désintéressés, ces pieuses confréries de frères-maçons qui s'estimaient heureux de consacrer à la gloire de Dieu et aux embellissements de l'église leurs sueurs et leurs talents? Conduits par des chefs habiles et dévoués qui savaient leur inspirer une vie de sacrifices et d'expiation, n'étaient-ils pas la personnification emblêmatique de ce maître par excellence qui donne aux architectes le génie pour concevoir et la force pour exécuter ces beaux monuments qui sont restés comme des chefs-d'œuvre de l'art catholique et un sujet d'admiration pour la postérité ?