Un jour [...] que le receveur ou trésorier du Chapitre de Laon auquel appartenaient les Barenton, s'était rendu dans ces localités pour y percevoir les impôts dus à sa communauté, il s'était vu fort bien accueilli par les Mayeurs, chargés de représenter les intérêts des habitants. Chaque maire, non content d'accompagner le collecteur de village à village, avait voulu, après un gai repas pris ensemble, lui faire la conduite, lors de son retour, en l'aidant à porter sa lourde sacoche jusqu'au delà des fermes de Puisieux. Là on s'était séparé après un mutuel échange de politesse et de nombreuses protestations d'amitié.
Mais, aussitôt le départ des Maires, l'envoyé du Chapitre, au lieu de prendre la direction de Laon dont il apercevait la montagne devant lui, s'était dérobé à gauche, dans les petits bois d'Estrées et de la forêt de Samoussy qui en est voisine; puis il avait gagné la frontière du Rhin et l'Allemagne, sans avoir mis personne dans sa confidence; en sorte qu'on fut longtemps sans aucune nouvelle et sans aucun renseignement sur le compte du fugitif.
Le Chapitre, inquiet de cette soudaine et inexplicable disparition d'un de ses membres, fit faire d'inutiles recherches dans les environs. Mais apprenant au cours de ses informations que les Maires des Barenton avaient accompagné leur trésorier assez loin et jusqu'à l'entrée des bois, il crut à un guet-apens, et peut-être à un assassinat. Bientôt la rumeur publique, toujours si prompte à juger, vint confirmer ces odieux soupcons; au point que la justice du chapitre se vit obligée de rendre les Maires des Barenton responsables de cet événement et de sévir contre eux. Cités en plein tribunal, les trois Maires furent déclarés coupables et condamnés à être pendus.
Cependant les femmes de ces Maires, d'autres disent leurs Mères, sûres de la conduite de leurs maris, viennent protester de leur innocence; mais elles ne sont pas écoutées. Alors, sous l'inspiration d'une foi ardente et comptant que le Ciel approuverait leur sainte témérité, elles auraient saisi des clous qui se trouvaient là sous leurs mains et elles se seraient écriées en voyant devant elles un grès placé dans la cour du Chapitre et devant lequel on rendait probablement la justice « C'est aussi vrai que nos maris sont innocents comme ces clous vont pénétrer dans ce grès ici présent.» Et, en disant ces mots, elles enfonçaient leurs clous dans cette pierre siliceuse aussi facilement que dans une terre molle.
Ce prodige ne put toutefois sauver les malheureux Maires qui furent exécutés et dont on reconnut plus tard l'innocence. Car on apprit enfin, d'une manière certaine, par le fugitif lui-même, l'histoire de sa fuite. Mais ce tardif aveu n'avait pu être utile aux infortunés Mayeurs qui avaient payé de leur vie la coupable émigration de ce mandataire infidèle.
On dit que, pour réparer dans la mesure du possible cette erreur judiciaire, un service funèbre fut imposé à perpétuité au clergé laonnois et que tous les curés devaient dire le 4 août de chaque année une messe des trépassés en mémoire des Maires des Barenton. Notre conteur ajoutait même, d'après une vieille tradition, qu'à cet office les prêtres devaient porter la corde au cou, en signe de pénitence et de regret, pour un jugement rendu d'une façon si sommaire et si précipitée. »
Il paraît que le grès témoin de ce miracle avait été religieusement conservé dans le cloître des chanoines; puis incrusté du moins en partie dans le mur à gauche de la nef de la cathédrale où il est encore connu sous le nom de Pierre à cleus. Quelques auteurs prétendent que ce grès avait été brisé en 93 et que celui qui est aujourd'hui placé dans la cathédrale n'en est qu'un fac-simile ou memento. Mais rien ne vient prouver ces assertions, qui n'ont pas plus d'autorité que les explications saugrenues qu'on s'est plu à donner sur la physionomie de ce grès et sa nature impressionnable.