Vers le milieu du XVI siècle, Jean Dolet, appartenant à une des plus anciennes et des plus honorables familles de Baume, faisait ses études de jurisprudence à l'université de Dôle. Il avait eu pour maître le célèbre jurisconsulte Charles Dumoulin, et il venait de lui dédier deux lettres sur le concile de Trente, dans lesquelles il n'avait pas craint d'attaquer les décisions de ce grand concile. Dans un style fougueux et frondeur, Jean Dolet essayait de démontrer qu'il y avait danger pour les libertés françaises à recevoir ces décrets comme loi de l'Etat. Il ne le fit pas impunément; car aussitôt une fluxion lui tomba sur les oreilles et l'assourdit au point qu'il n'entendait plus rien du tout. Il dut rentrer dans sa famille avant l'époque ordinaire des vacances. La douleur et l'incommodité de son mal, après l'épreuve inutile de toutes sortes de remèdes humains, le ramenèrent à la foi et à la piété, avec cette conviction intime qu'il ne pourrait guérir que par une grâce du ciel.
En ce temps-là, Notre-Dame de Cusance était particulièrement honorée par de pieux pèlerins. C'était l'époque où il n'était pas surprenant de rencontrer une procession générale allant solennellement de Baume à Cusance, à travers champs et bois, avec le vicomte maïeur et messieurs du magistrat en tête de la bande.
Jean Dolet résolut, pour demander la guérison de sa surdité, de faire seul, à pied, un pèlerinage à Notre-Dame de Cusance. Il avait prié longtemps durant la nuit qui avait précédé son départ; il n'avait cessé, chemin faisant, de réciter son rosaire, et après être resté de longues heures à genoux devant la sainte image, il reprit doucement le chemin des pèlerins. Arrivé ou sommet de la montagne, d’où l’on aperçoit presque du même point tout le développement de la vallée, il se retourne, charmé par la fraîcheur, la grâce et l’animation de ce paysage, au fond duquel brillait au soleil la flèche gothique de la chapelle de Notre-Dame. Comme il faisait une chaleur extrême, il s’assied à l’ombre d'un vieux chêne et s’endort en répétant, pour la millièm e fois peut-être, la salutation angélique. Pendant son sommeil, il eut un songe.
La sainte Vierge lui apparut. Elle s’approcha de lui en souriant, lui retira des oreilles certains papiers qui les bouchaient. Elle les développa et fit voir à Jean Dolet que c’étaient en effet ses deux lettres à Dumoulin qui obstruaient ses oreilles. Il lit, reconnaît parfaitement son écriture, qui lui fait honte, et dans l’instant il se réveille au chant des petits oiseaux. Il était guéri de sa surdité, à la réserve d’un peu de douleur qui lui dura quelques jours à peine, pour l’accomplissement de sa pénitence.