Une troupe de jeunes gens des Bouchaux Iront aux loures [veillée] ensemble. D'aval, d'amont, en bas, en haut, Par dessous main l'avis se donne. Quelquefois pour le bien, trop souvent pour le mal, C'est ainsi qu'on se donne l'éveil et qu'on s'entraine.
La loure se porta au Bréban. D'être laborieuses et sages Les filles font toujours semblant. Elles mettaient en mouvement l'ouvrage Quand les garçons réclamèrent qu'à l'instant On se mit à sauter.
On n'avait certes pas de violon Ni de clarinette Et faute de mieux on se contenta De la sèche épinette. On peut tout de même en avoir des sons Qui mènent une danse vivement.
La danse roula d'une bonne vivacité Bien avant dans la nuitée. Mais les maîtres eurent un œil attentif et sévère Sur le déduit et les amusements, Pour qu'il ne s'y fit rien de honteux, Ni ne s'y dit des paroles peu honnêtes.
Il y eut encore bien quelques débats A l'occasion des danseuses. Chaque danseur voudrait choisir friandement La beauté et l'adresse. De là vivacités et mécontentements; Pas toutefois pour la peine.
Point de beaux jeux dont on ne doive se lasser. Les joyeux ébats prennent fin. Les gens de la maison, dans ce cas-là, S'ils ne sont pas raides pour s'exécuter, Font aux personnes de la loure, pour s'en retourner, L'honnêteté d'une recine.
C'est la fin d'un hiver qui a été Tout du long doux et humide. De larges brouillards se sont abattus Sur les sommets qui s'en revêtent. Ennuyés d'être reclus dans leurs réduits, Les Culards [feux follets] se lèvent et sortent.
Il y en a trois qui jouent au racheté (à la cachette) Et sautillent autour d'un buisson. Dans la veillée qui revient de leur côté Cela fait de l'émotion et du bruit. Les femmes surtout, qui aiment à craindre En sont toutes saisies et préoccupées.
A l'une d'elles un gros farceur Arrache par surprise sa quenouille, Et frappe sur l'un des jolis feux Pour faire une belle merveille. Sans être atteint, toujours gai et gracieux, Celui-ci en l'air se relève.
De l'épouvante il se fait un cri tumultueux Qu'on pense que le ciel croule. « Gros butor étourdi ! Grand luthérien! « Tu ne crains ni Dieu ni diable « Demande pardon! C'est le seul moyen « De nous remettre un peu à l'abri de revendication et de vengeance.
« Et vous, vous êtes des innocents (imbéciles) « D'avoir une pareille peur. « Si les noirs diables par les champs « Promenaient leurs tourments, « Vous ne les verriez pas si luisants « Ni d'aussi bonne humeur. »
« Tais-toi seulement, et allons-nous en! « Ce coin-ci est dangereux. « On y voyait déjà, au vieux temps, Les choses les plus terribles. « Même le brandon, depuis que nous y sommes, « Devient pâle et tremblant. »
Le tout dernier il reprend son chemin Comme pour demander son reste. Et le traitre Culà ne le suit-il pas En faisant de petites manières bizarres ? Plein ses jambes il sent des fourmis, Et pour le coup son courage baisse.
Néanmoins Culard ne s'obstina pas A les toujours poursuivre. On ne sait trop comment il se trouve perdu Quand on vient aux Boudières. Est-il caché? Est-il fondu ? C'est ce qu'on ne va pas rechercher.
Crainte d'un retour, peu s'en faut Qu'on ne prenne la guérite (fuite). Dès qu'on peut attraper le logis On referme les portes bien vite. Chacun fait un soupir tout haut En disant : Nous voici quittes !
Les braves chrétiens du temps passé, Comme nos pères en étaient, N'auraient jamais jeté dans le fossé Les charges (obligations) qui les concernaient. Notre garçon dit ses prières du soir A genoux haut (sur le banc) devant la fenêtre.
Un feu qui a l'air d'abord paisible, Monte, avance par bonds tournants. Tout d'un coup il se fait de l'irrité, Et puis d'un vif sifflement Dans la fenêtre au nez de son agresseur Vient faire une furieuse et stridente explosion.
Cela, mes enfants, nous apprend Qu'il ne faut pas suivre l'envie De chercher noise à telle chose qui ne dit rien Et garde un visage couvert, Lorsque, de malheur, nous la rencontrons Sur le sentier de la vie.