La légende de la croix de fer d'Hyères [Hyères (Var)]

Publié le 1 décembre 2023 Thématiques: Baptème , Croix , Génie | Djinn , Jeune fille , Mariage , Mort , Origine , Origine d'un lieu , Sarrasin , Signe de croix , Tempête , Vol dans les airs ,

Croix de fer
Croix de fer. Source Midjourney
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Source: Denis, Alphonse / Promenades pittoresques à Hyères (1888) (6 minutes)
Lieu: Une croix (inexistante) / Hyères / Var / France

La fille d'un duc d'Afrique, belle et fraîche surtout, comme une houri de l'Occident, avait eu le bonheur d'être confiée à une nourrice chrétienne qui l'avait baptisée en secret. Grand bien lui en advint, car elle inspira une vive passion au génie ou au démon des tempêtes et des vents, comme on voudra l'appeler.

Pour plaire à la princesse, cet amant d'une espèce nouvelle, s'y prit de vingt manières différentes; l'une des formes les plus heureuses, selon nous, sous lesquelles il lui apparaissait pour la séduire, était celle du Zéphyr d'Orient pendant les ardeurs du soleil d'été, tout embaumé du parfum des roses et des jasmins, il se glissait auprès d'elle sous les épais feuillages du sycomore ou du platane et la rafraichissait mollement en se jouant, amoureux et timide, dans sa longue chevelure; d'autre fois, plus impétueux, indiscret, plein d'audace, il excitait chez sa belle maîtresse les folles joies et les rires auxquels, passé quinze ans, la jeune fille, devenue réservée sans motif, et grave sans réflexion, craignait déjà de s'abandonner.

D'autres fois encore, vibrant de sons harmonieux empruntés à quelques sérénades castillanes, porté sur les ailes du vent du Nord, il charmait son oreille et commençait sur ses sens endormis un système de séduction d'autant plus difficile à combattre que l'ennemi était invisible.

Puis, enfin, tout chargé des soupirs des Abencerages de Grenade, les plus tendres et les plus discrets des chevaliers maures, il berçait son âme de voluptés indicibles et de molles langueurs. S'il la réveillait, c'était au bruit adouci du tambourin et des fifres joyeux de Provence ou à celui des castagnettes catalanes, ramassé sur les côtes de Provence ou à celui de la Méditerranée, et apporté tout exprès pour la provoquer, à son insu, aux plaisirs si vifs de la danse et des courses légères.

Aussi, par une belle nuit d'Afrique, c'est-à-dire quand l'atmosphère a déposé sur les fleurs et les gazons ses abondantes rosées, quand la lune flotte pure et radieuse dans l'immensité des cieux, à l'heure où le rossignol chante, à l'heure où les bruits divers s'éveillent pour remplacer le silence du jour, à l'heure, enfin, où l'on existe en Afrique : la jeune et belle Mauresque, tantôt rêveuse et languissante, mollement reposée sur des coussins moelleux, tantôt bondissant avec ses compagnes dans les immenses jardins de son père, s'abandonnait sans réserve aux impressions variées pour lesquelles son âme était devenue si accessible; tantôt elle versait des larmes solitaires, tantôt elle s'enlaçait, innocente mais enflammée, au col de sa gazelle favorite qu'elle couvrait de baisers.

Si aujourd'hui elle affectait de graves pensées, demain elle demandait avec insistance ces plaisirs bruyants qui trompent les vagues douleurs de l'âme. Seulement les obsessions et les inquiétudes cessaient dès que machinalement et comme par hasard ses doigts avaient tracé sur la table, ou seulement indiqué sur elle-même, le signe de la croix de notre Sauveur.

Le calme rentré dans son esprit, plus d'une fois elle s'était prise à avoir honte de ses innocents égarements.

Le duc d'Afrique, qui ignorait totalement cette circonstance, la seule qui eût pu l'éclairer sur l'état véritable d'une fille qu'il adorait; le duc d'Afrique, excellent observateur, comme sont tous les pères de ce pays-là, jugea que quelque douleur qu'il pût lui en coûter, il devait songer à chercher un époux pour la princesse, qui commençait à perdre sa fraîcheur et venait d'atteindre sa quinzième année, et tout le monde sait qu'en pays mauresque cet âge-là n'est déjà plus pour les filles le bel âge de l'innocence et de la candeur.

Quoiqu'il en soit, son choix se fixa promptement sur un prince son voisin, dont les états s'étendaient par delà les déserts limitrophes de ceux du Prêtre Jean. Les accords furent bientôt faits; les ambassadeurs échangèrent des présents, et le père accompagna sa fille jusque vers un oasis situé au milieu d'un océan de sable, de plusieurs centaines de lieues d'étendue, pays verdoyant qui avait été désigné comme l'endroit le plus propice à la réunion des deux monarques et le plus rapproché de leurs états respectifs.

Personne n'avait songé à l'intervention de l'amant jaloux, dont nous avons d'abord entretenu le lecteur. Cependant, le noir génie du mal suivait depuis plusieurs jours la caravane, sous la forme d'un immense nuage lourd et accablant; de son ombre immense il couvrait tout le désert et lui donnait un air plus effrayant que de coutume. Bientôt l'eau vint à manquer, et le météore ne semblait point receler dans ses flancs la pluie bienfaisante et désirée de tous. Des langues de feu paraissaient s'en échapper par intervalles et elles calcinaient le sol sous le pas des voyageurs. Les chameaux, tourmentés par une soif inaccoutumée, se laissaient tomber sur le sable et périssaient sous les coups de leurs conducteurs, auxquels le désespoir semblait redonner quelque énergie.

Les chevaliers africains qui accompagnaient leur duc, succombaient sous le poids de leur armure; les chevaux, qui s'abattaient par intervalle, léchaient pour se désaltérer une grève brûlante et mouraient en s'épuisant dans une longue et violente agonie. Les Capidji, les Bachi, les Icoglans et toute l'escorte obligée du prince de l'Orient, restaient en arrière, et à courts intervalles jonchaient la terre de morts et de mourants.

Occupé uniquement de la conservation de sa fille et oubliant ses propres souffrances, le vieux duc marchait à la portière du palanquin, essayant de soutenir son courage, quand enfin se déchaina la tempête un vent sec et violent, chaud comme l'air embrasé qui sort d'une fournaise, accourut du fond de l'horizon, soulevant sur son passage d'énormes vagues de sable. Le ciel s'obscurcit, l'atmosphère devint épaisse et solide, comme quelque chose d'insolite, semblable à un lourd manteau dont on ne pouvait se débarrasser quelque chose de mortel, comme une muraille, qui vivant vous serrerait peu à peu de toutes parts et vous engloutirait, succombant par degrés au poids et aux angoisses.

Chacun se jeta à terre, selon l'usage et surtout selon l'instinct. de la nature, cachant sa tête pour se garantir les yeux et se ménager la faculté de respirer encore quelques minutes. Avec tout cela ce n'était point comme un orage sur mer, où les cris se confondent, où les flots mugissent, où les cordages sifflent, où les planches craquent, où tout vous indique que vous n'êtes point seul livré à la colère des éléments; mais un silence, un long et lourd silence.

Le palanquin est renversé; la jeune fille, lancée loin de son père, est emportée sans toucher le sol par un immense tourbillon. Pendant trois jours et trois nuits elle tournoya au-dessus des terres et des mers, la trombe immense aspirant tour à tour les sables et les flots. Enfin, au milieu de mille tortures, dans ce moment où sur le point de nous échapper, notre âme se replie avec tant de vitesse sur la vie passée, la pauvre païenne, oubliant ses fausses croyances, se rappela le signe sacré que sa nourrice chrétienne avait enseigné à ses jeunes mains, et elle retrouva assez de force, la malheureuse enfant, pour faire le signe de la croix. Tout à coup, et comme par enchantement, le tourbillon se dissipe; un corps de forme charmante, mais meurtri, souillé d'une vase impure, est déposé sur le sol d'une riante et belle prairie, sur un gazon doux comme un lit de velours.

C'était à Hyères, à la fin du XI° siècle, époque à laquelle les jardins d'orangers n'étaient point encore plantés, que se passait cet étrange évènement.

Or, il faut savoir que le père de la princesse avait été sauvé, par on ne sait quel miracle, de la mort certaine qui le menaçait. De retour dans la capitale, il avait dépêché des exprès dans toutes les contrées du monde connu, pour avoir des nouvelles de sa fille. Il avait fait publier la perte qu'il déplorait, promettant de grandes récompenses à qui saurait lui dire ce que la belle fiancée était devenue, et faisant vœu en outre, s'il la retrouvait en terre chrétienne, de faire fondre une croix d'argent à la taille de la princesse et d'une grosseur proportionnée.

Or, quand il sut que la dépouille de son enfant bien-aimée avait été recueillie sur les côtes de Provence et qu'elle y avait reçu une honorable sépulture, il vint à Hyères pour accomplir son vœu; mais, les habitants lui représentèrent, avec prud'homie, dit la légende, qu'une croix d'un métal aussi précieux que l'argent leur attirerait probablement de nombreuses visites de la part des pirates qui infestaient leurs mers et que s'il voulait absolument élever le monument projeté, il fallait qu'il leur laissât une armée pour la garder. Alors le duc, trouvant la raison bonne, consentit à substituer une croix de fer à la croix d'argent, faisant don des sommes qu'elle eût coûtées aux églises et aux couvents.

Les bonnes gens prétendent qu'on a vu longtemps dans les environs d'Hyères cette croix monumentale posée sur une large pierre artistement travaillée et sur laquelle des caractères inconnus étaient gravés.


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