Au sein du vaste cirque de prairies qui domine le haut village de Verbier, dans la vallée de Bagnes, on remarque un grand nombre d’excavations dans le sol.
Les plus petites et les plus nombreuses sont d’une profondeur que nul ne paraît avoir tenté de mesurer. Après un petit entonnoir de verdure, le centre s’enfonce comme un tube découpé dans le plâtre. Nous laissons à la science le soin d’expliquer à sa manière les causes de ces phénomènes probablement dus à l’oeuvre d’anciens glaciers. La tradition locale affirme que ces creux étaient habités par des fées dont quelques-unes étaient très connues dans la contrée.
Une fois, un honnête paysan de Verbier était resté veuf avec cinq enfants en bas âge que ses pénibles travaux du dehors obligeaient de laisser à la maison dans une complète négligence et dans une douteuse propreté.
Un soir qu’il rentrait, découragé, harassé, les souliers remplis de mottes de terre, grande fut sa surprise de tout trouver en parfait état dans le ménage, les enfants lavés, peignés, raccommodés ; la vaisselle propre, et le repas du soir tout servi.
Il crut à une aimable surprise de quelque voisine et ne dit rien tout d’abord, tant il était pressé de se coucher. Mais le lendemain soir, après avoir tout retrouvé en ordre, il ne put se défendre d’interroger les plus grands des enfants.
Ceux-ci lui expliquèrent du mieux qu’ils purent que c’était une toute petite femme douce, charmante et agile.
Ne connaissant dans tous les environs aucune femme qui répondit à leurs indications et cédant aussi à une curiosité bien naturelle, il resta un jour à la maison, malgré des travaux pressants, dans le but de la connaitre. La femme vint comme les jours précédents.
Une conversation très intime s’engagea entre elle et le père de famille, conversation dans laquelle ce dernier finit par dire : Puisque tu t’intéresses aux choses de mon ménage et que tu aimes mes enfants comme s’ils t’appartenaient, pourquoi ne nous marierions nous pas ? Je veux bien, répondit-elle, mais à une condition…. – Laquelle!… – C’est que jamais tu ne me nommeras « Fée ».
On ne sait combien de temps dura le bonheur de cette famille ; il suffit de dire qu’un jour l’homme ayant eu besoin de se rendre au marché de Martigny, la femme coupa le blé du champ, bien qu’il ne fût pas en pleine maturité, et le serra le même jour dans la grange, au grand étonnement de tout le voisinage.
A son retour, le même soir, l’homme entra dans une violente colère de ce qu’elle avait coupé le blé presque vert; il alla jusqu’à la rudoyer en lui disant : « Faïa [Fée] « Vâia [Va t’en] « Que jamay plus te vâyo’. » [Que jamais plus je ne te voie]
La fée ouvrit la porte et disparut.
Le lendemain matin, la gelée avait anéanti toutes les moissons de la région. Seul le blé que la fée avait coupé la veille était sauvé et arrivé à la maturité.
L’homme regretta vivement son humeur violente, mais la fée ne revint jamais faire le ménage qu’en son absence; tous ses efforts pour la rencontrer restèrent vains. Un jour cependant, voulant lui demander pardon, il s’informa auprès des enfants du chemin qu’elle prenait en quittant le logis.
Elle s’enfuit en levant la grande dalle du milieu de la cuisine, dirent-ils. Il courut à la dalle, la souleva. Une longue vipère noire en sortit.