La légende de Vaudai à Saint-Maurice [Bex (Canton de Vaud, Saint-Maurice (Valais / Suisse)]

Publié le 13 décembre 2023 Thématiques: Christianisation , Croix , Diable , Fleuve | Ruisseau | RIvière , Légende chrétienne , Montagne , Protection , Ville ,

Le Rhône devant Saint-Maurice
Snapshots Of The Past, CC BY-SA 2.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Cérésole, Alfred / Légendes des Alpes vaudoises (1885) (3 minutes)
Lieu: Bord du Rhône à Saint-Maurice / Saint-Maurice / Valais / Suisse
Lieu: Les Diablerets / Bex / Canton de Vaud / Suisse

[...] Vaudai était un des noms du diable. Synonyme de Odin ou de Samiel (noms employés dans la mythologie du nord), Vaudai pourrait fort bien se rattacher à Voldanus, dieu celte qui présidait au feu, ou à Wodan, divinité germanique, le dieu de la chasse et des combats, le Mars des barbares, l'inspirateur du courage, de la sainte ivresse et des arts magiques. Or Vaudai ou Wodan, qui personnifie la civilisation païenne, a son nom étroitement lié à une antique et belle légende se rapportant à la lutte qui s'engagea dans nos contrées entre le christianisme et le paganisme. Wodan, se sentant, il y a plus de 1500 ans, atteint dans sa puissance et son prestige, se voyant traqué de toute part par l'invasion des idées chrétiennes, se vit obligé de battre en retraite sous l'action progressive et conquérante des missionnaires chrétiens; il finit par choisir pour dernier refuge certaines hauteurs de nos Alpes. Là, aux Diablerets surtout, il devint, dans sa solitude irritée, le Satan d'un nouvel âge, le roi farouche d'un funeste et terrible empire, le Vaudai enfin, dont la cour se composait de toute l'armée des enfers, c'est-à-dire des démons, des âmes damnées, des suicidés, des criminels, des enfants morts sans baptême, des sorciers et des sorcières, de tous les esprits dangereux ou méchants.

Un jour, Wodan, sur le point d'être totalement envahi dans ses domaines par les croyances nouvelles, après avoir longtemps rêvé sur son rocher et plongé son sinistre regard dans la plaine, résolut de tenter un dernier et suprême effort pour reconquérir son pouvoir ou tout au moins se venger. Dans ce but, il fit appel à son infernale cohorte; il descendit de ses hauteurs sauvages et, orné de tout l'éclat de sa sombre puissance, il suivit les eaux du Rhône. Assis sur une vague énorme, dont l'écume brillait au loin, on le vit brandir de la main droite l'épée des combats, pendant que de la gauche il tenait un globe terrestre, symbole de sa puissance. C'est ainsi qu'il apparut un jour, majestueux et terrible, au bruit sourd d'un vent d'orage et à la lumière étincelante des éclairs. Elevant alors la voix et s'adressant au vieux fleuve qui le portait sur ses ondes, désireux de noyer par ses flots ses implacables ennemis, Wodan s'écria d'une voix retentissante et terrible, répercutée par les échos, ces mots mystérieux : « Rigou, hai ousson! » (Fleuve, élève-toi !) A cet ordre prononcé avec l'accent d'une fureur sauvage, le Rhône souleva ses eaux et se mit à inonder ses bords. Ce fut un bouillonnement terrible de vagues en furie. Le flot recouvrit le flot; l'eau pressée, bourbeuse, écumante, descendit la vallée, sûre de ses désastres et de sa victoire. Parvenues au défilé de Saint-Maurice, croyant détruire les demeures des premiers colons chrétiens qui venaient de s'y installer, les vagues s'arrêtèrent; elles ne purent sortir de leurs rives; elles bondirent impuissantes, comme refoulées par une main invisible. La modeste cité eût été infailliblement submergée, si la croix du Christ ne l'avait pas protégée et si un autel chrétien n'y avait pas été dressé. Ordres et menaces, tout fut inutile.

Les flots ne purent obéir à la colère de Wodan. Saint-Maurice et ses premiers habitants furent épargnés. Alors, le vieux dieu païen, sentant son impuissance en face de la religion nouvelle, comprit sa défaite. Furieux, il battit en retraite avec sa cour satanique et se retira sur les plus hauts rochers des Alpes environnantes. C'est de là qu'aujourd'hui encore, quand souffle la terrible vaudaire(*) et que ses rafales impétueuses font craquer les arbres de la plaine ou soulèvent les flots du Léman, c'est de là qu'on peut l'entendre exhaler sa rage, gronder, gémir, diriger rondes et sabbats, commander à la foudre et à la grêle, produire des pestes, des éboulements et des catastrophes sans nombre.

*Nom donné par les habitants des rives orientales du lac Léman au vent du sud qui souffle des Alpes et de la vallée du Rhône. « C'est un vent du diable! » vous diront les bateliers.


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