Près de la route d'Englebelmer se tenait autrefois un homme qui passait toutes les nuits à éternuer d'une façon continue. A quelque heure que l'on pût passer en cet endroit, on n'entendait que des atchi ! atchi ! atchi ! sans cesse répétés; aussi les passants s'enfuyaient-ils en se disant : C'est l' « éternueu ! »
Bien des fois les jeunes gens des villages voisins s'étaient réunis le soir pour surprendre l'éternueu, mais quand ils étaient arrivés au lieu d'où partaient les atchi ! atchi ! ils n'entendaient plus rien et le bruit ne reprenait que quelques minutes après et à cinquante pas plus loin. L'homme ou le lutin se donnait le plaisir de faire courir les jeunes paysans le long de la route d'Englebelmer et toujours il demeurait insaisissable.
On avait fini, de guerre lasse, par s'habituer à l'éternueu, et, comme le lutin n'avait jamais fait de mal à personne, on en vint à ne plus craindre de passer par la route et l'on se contenta de se signer dévotement quand le bruit bien connu parvenait aux oreilles.
Un soir d'été, par un beau clair de lune, un paysan revenait d'un marché voisin. Bientôt il entendit les atchi ! de l'éternueu, mais il ne s'en inquiéta pas. Sans doute, le lutin n'avait pas autre chose à faire, car il se donna le plaisir de suivre le paysan pendant un bon quart de lieue en poussant son atchi ! incessant. A la fin, le paysan ennuyé s’écria tout à coup :
-« Avez-vous bientôt fini d'éternuer ainsi ? Que le bon Dieu vous bénisse vous et votre rhume ! »
Il n'avait pas fini ces mots, qu'un fantôme revêtu d'un grand drap blanc s'offrit à ses yeux : c'était l'éternueu.
-« Merci, ami ; tu viens de me délivrer d'un grand supplice. A la suite de mes péchés, Dieu me condamna à errer autour de ce village en éternuant sans trêve ni repos, du soir au matin jusqu'à ce qu'un vivant charitable me délivrât en me disant : « Dieu vous bénisse ! »
« Bien des années se sont passées depuis ce temps; il y a pour le moins cinq cents ans que je viens ici éternuant toujours dès que je vois un voyageur. Aucun ne m'avait dit « Dieu vous bé« nisse ! » Heureusement que ce soir j'ai eu la bonne idée de te suivre et que tu m'as délivré pour toujours. Encore une fois, merci. Adieu. »
Le fantôme disparut aussitôt et l'homme put rentrer à Englebelmer pendant que l'éternueu, délivré de son supplice, prenait sans doute le chemin du ciel.
A partir de ce jour on n'entendit plus le soir sur la route les atchi ! du lutin.
C'est de là, ajoute-t-on, que date la coutume de dire à celui qui éternue : « Dieu vous bénisse ! » et celle de répondre à ce souhait par un : « Dieu vous le rende ! »