La légende du pèlerinage de la revenante [Albert (Somme)]

Publié le 13 mai 2023 Thématiques: Cimetière , Eglise , Fantôme , Messe , Nuit , Paysan , Pèlerinage , Promesse , Promesse rompue , Punition , Revenant , Voeu ,

Notre-Dame de Brébières
Alf van Beem, CC BY-SA 3.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Carnoy E. Henry / Littérature orale de la Picardie (1883) (4 minutes)
Lieu: Basilique Notre-Dame de Brebières / Albert / Somme / France

Un jour, la fille d'un paysan fit vœu de se rendre avec son père en pèlerinage à Notre-Dame de Brebières. Bientôt elle oublia sa promesse et ne se rendit point à la chapelle de la Vierge.

Un an après seulement, étant tombée dangereusement malade, elle songea au vœu qu'elle avait fait et fit promettre à son père de la porter à Notre-Dame de Brebières au jour et à l'heure qu'il lui plairait, à elle, étant morte, de revenir sur la terre tenir la promesse faite à la Vierge.

La jeune fille mourut et, lui aussi, le père, oublia son serment. Mais un mois plus tard, au moment où il venait de s'endormir, il fut réveillé par un fantôme enveloppé d'un grand suaire et qui n'était autre que sa fille défunte. -« Père, père! Souviens-toi de ce que je t'ai demandé avant ma mort et de ce que tu m'as juré de faire. Prends-moi sur tes épaules et conduis-moi à la chapelle de Notre-Dame de Brebières cette nuit même. Je retourne au cimetière; habille-toi et viens me prendre auprès de ma tombe. -Je ne suis pas ainsi le jouet des mauvais lutins et des revenants, répondit le père, et je ne te mènerai en aucune façon à Notre-Dame de Brebières : on me prendrait pour un fou dans le village. -Adieu, père, adieu! Dans un mois je reviendrai ici-même et à cette même heure te trouver. Adieu ! »

Et le fantôme se retira en sanglotant. Le père ne put dormir de la nuit, tout troublé qu'il était par cette apparition et par la demande extraordinaire que venait de lui faire le revenant. Deux fois encore, à un mois d'intervalle, le fantôme revint, ainsi qu'il l'avait dit, prier son père de tenir la promesse faite au lit de mort de la jeune fille, et deux fois le père refusa. Ces apparitions l'inquiétaient étrangement, néanmoins. Il aurait bien voulu les voir cesser, mais sa fille avait dit qu'elle reviendrait ainsi jusqu'au jour où son vœu serait accompli. -« Si le revenant se présente encore, se dit le père, je le conduirai à Notre-Dame de Brebières. C'est, je crois, tout ce que j'ai de mieux à faire. Je serai tranquille et ma pauvre enfant aussi. » Pour la quatrième fois le fantôme revint. Cette fois ses sanglots étaient plus déchirants que jamais. -« Père, père! me portes-tu cette nuit à la chapelle de la sainte Vierge? La nuit est belle, bien belle; viens donc au cimetière ! »

L'homme s'habilla sans bruit, prit son bâton et suivit le revenant au cimetière. Mais à l'entrée le fantôme avait disparu, et le père dut continuer seul son chemin à travers les tombes pour arriver à celle de sa fille. Arrivé là, il attendit. Bientôt il vit sortir de leurs tombeaux des centaines de personnes qu'il avait connues autrefois et qui toutes, après l'avoir salué par son nom, se dispersaient aussitôt de ci, de là, dans toutes les directions. Sa fille ne tarda pas, elle aussi, à sortir de son tombeau. -« C'est bien, père, tu m'as suivie. Baisse-toi, baisse-toi davantage, que je me place sur tes épaules. »

L'homme se baissa et sentit un poids énorme le charger, tandis que deux bras, froids comme la glace, les bras de sa fille, s'enroulaient autour de son cou. -« Maintenant, en avant, père! il faut nous hâter. Je dois reprendre ici ma place avant le lever du jour. Hâte-toi ! » S'embarrassant dans les tertres des tombeaux, dans les arbustes et les grilles, l'homme s'avança néanmoins et réussit à sortir du cimetière. Puis, s'aidant de son bâton, il prit la route d’Albert, le chemin du pèlerinage.

C'était vraiment une nuit terrible; des lutins, des fantômes partout, à tous les carrefours, au pied de chaque croix plantée au bord du chemin. Au bout d'une demi-heure de marche, le paysan, fatigué du poids énorme qu'il lui fallait porter, n'en pouvait plus de lassitude. Il voulut se reposer un instant auprès d'un rideau (talus). -« Non, père; non. Marche toujours; je veux être de bonne heure à la chapelle de Notre-Dame de Brebières. Allons, courage; hâte-toi ! »

Le paysan continua sa route, portant toujours le corps de sa fille. Sur le chemin on ne voyait que des groupes de fantômes et de revenants hurlant et dansant, qui semblaient prêts à faire un mauvais parti au pauvre homme. Celui-ci ne faisait que se signer pour les chasser. Enfin, harassé, mourant de fatigue, le paysan put arriver avec son fardeau à l'église de Notre-Dame. La porte s'ouvrit d'elle-même devant eux et ils purent entrer et aller se placer près de l'autel de la Sainte-Vierge de Brebières.

Un fantôme, revêtu des ornements du prêtre, officiait. La jeune fille répondit à la messe ainsi que l'eût fait un enfant de chœur. Quand le curé fantôme eut dit l’Ite missa est, la jeune fille répondit Amen et vint se replacer sur les épaules de son père, qui, cette fois, ne lui trouva aucun poids. « Mon pèlerinage est accompli, père. Porte moi au cimetière, à mon tombeau. Tu ne me reverras plus, car je vais aller au ciel. N'oublie jamais à l'avenir d'accomplir toutes tes promesses. Un vœu non rempli empêche d'entrer en paradis. »

Et le paysan ramena sa fille au cimetière. Là, sa fille le quitta et, à dater de ce jour, il ne la revit plus.


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