La légende du Richard Coeur de Lion prisonnier du Trifels [Annweiler am Trifels (Rhénanie-Palatinat / Allemagne)]

Publié le 6 janvier 2024 Thématiques: Chant , Château , Jeune fille , Libération , Musicien , Prison , Prisonnier , Richard Coeur de Lion , Roi | Empereur ,

Interieur du château de Triffels
Gerd Eichmann, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Kiefer F.J. / Légendes et traditions du Rhin de Bâle à Rotterdam (1868) (6 minutes)
Lieu: Château du Trifels / Annweiler am Trifels / Rhénanie-Palatinat / Allemagne

Aux frontières françaises du Haut-Rhin, entre Weissenbourg, Bergzabern, Landau , Edenkoben, Neustadt s/la Hardt et Dürkheim jusqu'à Grünstadt se trouve l'une des plus belles contrées de l'Allemagne, peut-être de l'Europe entière. Cette contrée peu connue, peu visitée, peut soutenir le parallèle avec tout autre, tant elle est richement dotée de bois, de collines couvertes de vignobles et de champs fertiles; nul paysage n'est plus riant, plus varié, ne contient autant de ruines. Les Vosges dont les hauteurs commencent ici à s'abaisser pour s'effacer plus loin dans la plaine, ne portent plus ce caractère sauvage qui surprend le voyageur aux frontières de la Suisse et dans la haute Alsace; mais le côteau n'en est que plus doux et plus agréable, le sol n'en est que plus fertile; rien ne rappelle ici le voisinage des chaînes de montagnes, si ce n'est ça et là une roche isolée.

De l'une de ces hauteurs, l'oeil découvre un immense horizon dans la direction du Sud et du Nord. Les dômes de Strasbourg et de Spire, plus loin les églises de Worms, sur la rive droite du Rhin les ruines du château de Heidelberg, à gauche le Mont-Tonnerre avec ses cimes élancées, voilà les principaux objets d'un panorama qui attache et ravit le spectateur.

Non loin de la forteresse de Landau et du bourg d'Annweiler se trouve jeté au hasard toute une suite de montagnes boisées et de roches ornées de ruines dont trois sont surtout remarquables; ces châteaux paraissent avoir appartenu à un même seigneur qui doit avoir eu sa résidence dans l'un des trois forts. Le nom de Trifels (Triple roche) fait allusion à cette unité de propriété, car il se donna génériquement aux trois rochers, cependant le plus remarquable des trois avec son château ruiné est plus particulièrement connu sous ce nom, tandis que les deux autres s'appellent aussi Anebos et Scharfenbourg. La montée du Trifels est fatiguante, mais on est amplement dédommagé de ses peines par la vue délicieuse qui, du haut de la montagne, s'étend sur la magnifique vallée du Rhin. C'est Landau qui attire principalement le regard du voyageur, cette ville est entourée de nombreux villages, et il est passé en proverbe de dire, que les habitants de deux cents localités différentes visitent son marché, sans pour cela employer plus d'un jour.

Comme tant d'autres fondateurs qui ont élevé des monuments au moyen âge, celui de Trifels est resté inconnu. Toutefois on parle déjà de cet édifice dans les vieilles archives du temps des empereurs saliens; on sait qu'il fut transmis aux dynasties de Hohenstaufen et de Habsbourg, et qu'en l'année 1410 il devint la propriété des ducs de Deux-Ponts. Frédéric Barberousse, suivant la légende, aimait à habiter ce château qu'il a beaucoup agrandi; mais à peine y reste-t-il encore quelques vestiges de cette vaste salle en marbre qu'il y a fait bâtir.

Au moyen-âge le château fort de Trifels avait une triple destination. Il était à la fois forteresse impériale, prison d'état, et servait de dépôt aux trésors de haut prix. La possession en était d'une grande importance, l'élévation et les fortifications de la place pouvant braver toute attaque. Ces mêmes avantages rendaient Trifels propre à la garde de prisonniers importants. Le sanguinaire Henri VI., successeur de Barberousse, a fait enfermer là et mourir dans des tortures inouïes maint de ses ennemis et maint criminel d'état.

En l'année 1193, vers pâques, Léopold d'Autriche livra prisonnier à Henri VI, Richard Coeur de Lion qui sur les ordres d'Henri fut incarcéré à Trifels. Il se peut qu'un sort terrible attendit là ce roi valeureux, car il fut jeté ainsi que beaucoup d'autres victimes dans un des cachots les plus forts et les mieux gardés qui se trouvaient en grand nombre à Trifels. Malgré cela le courage de Richard ne fléchit point, le prisonnier chercha même à se distraire par le chant et les accords de la harpe; cependant il lui restait peu d'espoir d'échapper à son ennemi acharné et il devait s'attendre à une mort cruelle.

Le roi avait laissé en Angleterre un fidèle compagnon de son enfance, le troubadour Blondel. Lorsque celui-ci apprit que son maître chéri avait disparu ou qu'il était en prison, il fit le serment de ne prendre aucun repos avant d'avoir découvert la retraite de Richard, et d'avoir tout tenté pour le délivrer.

Quelques vaillants chevaliers entièrement dévoués au roi suivirent le fidèle troubadour qui dès lors parcourut toute l'Allemagne, prenant des informations dans tous les châteaux dans toutes les villes sans pouvoir découvrir la moindre trace de son maître. Déjà il avait fait des recherches sur tous les points des rives du Danube et du Rhin, lorsqu'il descendit un soir dans la vallée sauvage d’Annweiler et qu'il aperçut les tours de Trifels. Un étrange pressentiment lui dit que là devait se trouver le roi. Il résolut donc de faire, bien qu'avec la plus grande prudence, les recherches les plus minutieuses.

Ses compagnons se cachèrent dans la forêt, pendant qu'il allait explorer les fortifications. Tout en s'acheminant dans ce but, il rencontra une jeune fille avec laquelle il lia conversation; elle habitait les environs de Trifels, et lui raconta différentes particularités du château. Au moment de se séparer, Blondel pria la jeune fille d'attendre un instant, parce qu'il voulait en quelque sorte la récompenser des détails qu'elle lui avait donnés; prenant ensuite sa guitare, il chanta une ancienne et touchante mélodie, l'air favori de Richard. Ravie de ce chant, la jeune fille s'écria: „Ah, vous chantez là le même air que j'ai entendu d'un pauvre chevalier prisonnier dans la tour du nord ; je l'ai écouté plus d'une fois en paissant mon troupeau dans la proximité de sa prison.“ Ces paroles dites par la jeune fille qui s'encourut gaîment furent un trait de lumière pour Blondel. Heureux de se croire près du but de ses pénibles courses, le ménestrel se dirigea tranquillement vers le château à la nuit tombante. Lorsqu'il fut aussi près que possible de la tour désignée, il chanta, en s'accompagnant de son instrument, le même air que le roi avait chanté et mis en musique. A peine les notes de la première strophe furent-elles expirées, que Blondel qui écoutait attentivement, entendit la continuation de la mélodie partir d'une des fenêtres de la tour, puis une voix bien connue quoiqu'étouffée, lui demanda: „Est-ce toi, mon cher Blondel?“ „Oui, c'est moi, mon Seigneur,“ répondit le troubadour; „grâce au ciel, nous vous retrouvons enfin. Comptez sur mon zèle et sur celui de quelques amis fidèles, nous vous délivrerons.“

Le lendemain, le chanteur obtint l'entrée du château; mais il vit en même temps le danger de son entreprise. Le fort bien gardé et occupé par une garnison nombreuse ne pouvait être pris ni par force ni par surprise. La ruse seule pouvait donc être employée. L'air gai et les joyeuses chansons de Blondel lui valurent la faveur du gardien du château et de ses subordonnés, et ce qui lui fut encore plus utile, il sut se faire aimer de la fille du geôlier. Après s'être assuré qu'elle l'aimait par dessus tout, et qu'elle était décidée à s'enfuir avec lui, il crut pouvoir se découvrir à elle. Elle lui promit de l'aider à délivrer le roi, et de cette manière il fut possible d'exécuter la périlleuse entreprise. Mathilde, c'est le nom de la jeune fille, connaissait parfaitement tous les détours de la prison; elle savait l'endroit où son père déposait les clefs des cachots et comment elle pouvait s'en emparer.

Pendant une nuit sombre et orageuse Blondel et Mathilde, après avoir tout préparé, se mirent à l'oeuvre; ils ouvrirent le cachot du roi, lui donnèrent une armure et une épée et le menèrent dans la cour du château. Là, les deux hommes se précipitèrent à l'emproviste sur les valets de garde et les forcèrent d'ouvrir les portes. Avant que la garnison attirée par le bruit pût se défendre, les compagnons de Blondel pénétrèrent dans la forteresse ouverte, et après un combat acharné, ils réussirent à délivrer le roi. Des chevaux étaient préparés, ils s'élancèrent dessus, ainsi que la jeune fille et parvinrent à gagner le large. Après avoir erré pendant assez longtemps, ils arrivèrent heureusement en Angleterre.

Blondel mena sa belle Mathilde à l'autel et reçut du roi la plus riche récompense pour sa fidélité rare et persévérante. Ceux qui avaient accompagné le vaillant troubadour eurent une large part à la libéralité royale.


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