La légende de Siegfried [Xanten (Rhénanie-du-Nord-Westphalie / Allemagne)]

Publié le 12 octobre 2023 Thématiques: Amour , Amour non partagé , Château , Chevalier , Combat , Dragon , Forgeron , Géant , Monstre , Sorcellerie , Trésor , Voyage ,

Siegfried tuant le Dragon
Siegfried tuant le Dragon. Source Arthur Rackham, Public domain, via Wikimedia Commons
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Source: Kiefer F.J. / Légendes et traditions du Rhin de Bâle à Rotterdam (1868) (5 minutes)
Lieu: Siegfriedmuseum / Xanten / Rhénanie-du-Nord-Westphalie / Allemagne
Motif: B11.1: Origine du dragon B11.3.2: Le dragon vit au sommet d'une montagne B11.6.2: Le dragon garde un trésor B11.11: Combat avec un dragon

Dans l'antiquité la plus reculée, Sigismond, prince batave, habitait avec son épouse le château de Xanten. Ils avaient un fils nommé Sigefroi dont les forces corporelles s'étaient développées de bonne heure d'une manière extraordinaire, il en était de même de son caractère altier et indomptable. Il n'écoutait ni leçons, ni remontrances.

A peine âgé de onze ans, le robuste enfant trouvait insupportable la vie tranquille et monotone que l'on menait au château de son père; il s'enfuit un jour pour chercher aventures en parcourant le monde. Il remonta le Rhin et rencontra au pied des Sept-Montagnes le fameux armurier Mimer, dont le métier lui plut tant, qu'il résolut d'entrer en apprentissage chez lui, afin de pouvoir se fabriquer lui-même ses armes.

Les compagnons de Mimer se ressentirent bientôt de l'humeur belliqueuse de Sigefroi; mainte fois il les fit rouler dans le sable ou les meurtrit de coups. Cependant il ne valait rien comme forgeron, car il cassait toutes les barres de fer, et enfonça par des coups furieux l'enclume dans la terre. Le maître, pour se défaire de ce brutal, l'envoya un jour faire du charbon à la forêt, du côté où séjournait un terrible dragon. Ce dragon n'était autre que le géant Fafner ainsi métamorphosé pour les crimes qu'il avait commis. Il gardait un trésor immense, consistant en or, en perles et en pierres précieuses que l'on voyait, à certaines époques, briller à travers les fentes d'une montagne.

Sigefroi parvenu à l'endroit désigné mit le feu à un énorme tas de bois. A peine les flammes puissantes s'élevaient-elles, que le serpent s'élança, gueule béante, pour engloutir le nouveau charbonnier. „Ho, ho!" s'écria Sigefroi, „voilà une excellente aventure! Il s'agit ici de défendre sa peau.“ En même temps il retira du feu un chêne dont il poussa le bout brûlant dans le gosier du monstre, tout comme s'il eût enferré un sanglier. La douleur mit le reptile au comble de la rage, il se roula sur le sol, et chercha à abattre Sigefroi de sa monstrueuse queue. Mais celui-ci, tout en l'évitant adroitement, lui porta des coups redoublés; et saisissant un moment favorable, lui trancha la tête. Après cela, il en jeta le corps dans le brasier; mais à son grand étonnement, il vit couler à ses pieds un torrent de graisse qui y forma une mare. Au même instant il entendit un oiseau chanter au dessus de sa tête:
Pour que jamais fer ne te blesse,
Faut te baigner en cette graisse,
Faut t'y durcir la peau,
Résisteras à trait, lance et couteau.

Sigefroi ne manqua pas de suivre cet avis; il se jeta tout nu dans la graisse, tous ses membres en furent oints, à l'exception d'un seul endroit à l'épaule droite, lequel avait été couvert par une feuille accidentellement tombée d'un arbre. Rendu ainsi invulnérable, le jeune héros retourna à la forge avec la tête du monstre abattu. Là, il tua le perfide Mimer. Après s'être choisi une armure brillante et un glaive magnifique, après avoir sellé le meilleur cheval de l'écurie, le coursier Grani, il partit avide de nouvelles aventures.

Il suivit pendant longtemps le cours du Rhin, puis avançant toujours vers le sud, il atteignit la mer et s'embarqua. La tempête le chassa contre un rocher escarpé; mais son coursier agile l'ayant bientôt gravi, le porta non loin d'un château enchanté en proie aux flammes.

Le jeune héros ne savait que faire; lorsque l'oiseau qui lui avait déjà donné un avis, chanta d'une voix claire:
Du feu ne redoute la rage,
Vîte en avant, montre courage,
Si par toi le charme est ôté,
Gagneras ange de beauté.

Il donna de l'éperon à son cheval, mais celui-ci se raidit et se cabra. Sigefroi lui-même manqua étouffer devant le terrible embrasement; cependant il força l'animal rétif - et d'un bond il fut au milieu des flammes. A l'instant le feu s'éteignit. Le château se montra dès lors dans toute sa splendeur. Les portes s'ouvrirent, et Sigefroi eut hâte d'entrer pour en examiner l'intérieur. Saisi d'admiration, il contempla ces superbes appartements plongés dans le silence des tombeaux; mais il fut bien plus étonné de trouver les habitants sans mouvement, endormis en apparence, et conservant la position qu'ils avaient sans doute lors de l'enchantement. La cuisinière était près du foyer, le palefrenier dans l'écurie auprès des chevaux qui eux-mêmes se tenaient inanimés devant leurs crèches.

Sigefroi en entrant dans la grande salle, jeta malgré lui un cri d'admiration. Là, étendu sur un lit de repos, parée de grâces infinies, entourée d'une pompe royale, mais retenue par des liens d'airain, se trouvait celle en qui son cœur reconnut l'ange de beauté.

Les liens furent aussi tôt rompus, il imprima un baiser de feu sur ces lèvres de roses. Ce baiser fut le signe de délivrance de l'enchantement séculaire. Brunehilde, c'est le nom de la belle, ouvrit les yeux, remercia son libérateur qui fut très étonné de s'entendre nommer par son nom; il lui promit d'être tout à elle. Au même instant l'enchantement cessa dans le château, tout se remit en mouvement, comme si le charme n'avait point passé par là.

Sigefroi comptait sur la douce récompense de l'amour; mais Brunehilde l'arrêtait par le charme même de cet amour. Elle était trop fière pour s'abandonner entièrement à un homme. Elle sut ainsi l'enchaîner pendant longtemps. A la fin l'esprit actif de Sigefroi ne put supporter plus longtemps cette vaine attente, et le goût des aventures se réveilla en lui.

L'oiseau que nous connaissons déjà ne cessait d'aiguillonner cette passion en chantant, devant les fenêtres du héros, et du charme de la retraite des Nivelliens [Niebelungen], et d'actions d'éclat à accomplir, et de belles dont il faut acquérir les bonnes grâces. Un jour donc prenant courage, Sigefroi s'arma de toute sa force pour résister aux charmes de Brunehilde, et tel qu'un voleur nocturne abandonna secrètement le château enchanté et tout ce qu'il contenait d'attrayant et de séduisant. L'oiseau merveilleux était son guide; il volait toujours devant lui dans la direction du Nord, de branche en branche, de gîte en gîte; et le jeune homme écoutait à la fraîcheur de l'ombre les chants de l'oiseau: Des Nivellois les vaillants fils Cachent, au Nord, leur beau pays.
Un peuple de nains y surveille,
Une incomparable merveille.
Enlève leur de leur logis
Chaperon et glaive de prix,
Le premier te rend invisible,
Aux ennemis l'autre est terrible.

Il ne faut point s'étonner de ce que Sigefroi convoitait des objets aussi rares, et de ce qu'il poursuivait son voyage avec la plus grande célérité. Après une longue route, il atteignit enfin le pays des Nivelliens. Harassé de fatigues, il s'étendit sur le sol; une troupe de nains l'entourèrent qui d'abord le contemplèrent étonnés, puis voulurent le faire prisonnier. Le jeune homme se défendit vaillamment et se rendit maître de leur chef Albéric à la longue chevelure. Sigefroi se servit de cette chevelure pour le garrotter et ainsi le força à lui découvrir le lieu où se trouvaient cachés le glaive et le chaperon. Toutefois il n'était point facile de parvenir à ces objets précieux. D'abord il fallut que Sigefroi domptât le géant Wolfgrambär préposé à la garde d'un château souterrain. Puis il dut châtier derechef le nain Albéric qui voulait le trahir, et eut à le forcer de lui montrer l'endroit qui recélait le chaperon, et finalement Wolfgrambär fut contraint de livrer au héros qui le tenait fortement enchaîné, le glaive Belmont. Cette expédition finie, Sigefroi rendit la liberté à ses ennemis.

Ayant ainsi atteint le but qu'il s'était proposé, et après avoir encore, en ce pays, tué un dragon gardien d'un grand trésor, le héros gagna le mal du pays et se remit en route pour le château de ses pères. Après un voyage de plusieurs mois, il y arriva à la grande joie de ses parents auxquels il raconta ses merveilleuses aventures.


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