Parmi les moines du couvent de Heisterbach se distinguait, par son savoir et par l'étude assidue de l'écriture sainte, frère Aloyse. Tout le monde et même l'abbé venaient puiser à cette source de sapience, lorsqu'il s'agissait d'expliquer quelque passage obscur des saints Pères ou des livres sacrés; car nul autre ne savait, comme lui, en expliquer le sens, et en ôter jusqu'aux moindres traces de doute.
Un seul point lui était toujours resté obscur à lui-même, et ce point-là demeurait le sujet constant de ses méditations; c'étaient les paroles de l'Apôtre St. Pierre: "Mille ans ne sont qu'un jour devant le Seigneur" qui tourmentaient sans cesse l'esprit du moine. Souvent il passait des jours entiers dans sa cellule, scrutant le mystère de ces paroles; mais à mesure qu'il tâchait d'en pénétrer le sens, ses doutes se multipliaient et son incrédulité grandissait. Ses idées se brouillaient parfois au point, que les autres frères craignirent qu'il ne finît par avoir l'esprit dérangé.
Plongé dans ses méditations, il s'était couché sous un arbre de la forêt voisine et s'y était endormi. La cloche des vêpres l'éveilla enfin, et lui rappela qu'il était plus que temps de retourner au couvent. Il fut étonné de ce qu'au lieu du frère servant qu'il connaissait, un autre lui vint ouvrir la porte. Mais Aloyse ne mit aucune importance à ce changement; car, entendant déjà le chant des frères s'élever dans l'église, il se dépêcha d'aller à sa place habituelle, Mais son siège était occupé; un moine qui lui était entièrement inconnu, y était, et celui-ci voyait Aloyse être aussi étonné qu'il l'était déjà lui-même.
Aloyse vit alors avec un étonnement de plus en plus grand que tous les autres moines lui étaient inconnus, et ceux-ci n'étaient pas moins surpris de le voir. Cependant les chants cessèrent et l'on demanda au dernier venu qui il était et ce qu'il voulait? Il déclina son nom; et comme il soutenait appartenir au couvent, les pieux frères le considéraient avec plus de surprise encore, et ils étaient sur le point de le croire aliéné.
Finalement l'un d'entr'eux se souvint avoir lu dans les annales du couvent que --- plusieurs siècles avant cette époque avait vécu dans cette abbaye certain Aloyse distingué par son profond savoir, et qu'il avait disparu sans laisser de traces après lui, s'étant allé promener au bois. Aloyse nomma ensuite l'abbé qui l'avait reçu au couvent, et désigna le temps qu'il y avait passé; on fit des recherches dans les archives, et toutes les circonstances démontrèrent qu'Aloyse était ressuscité. Durant le temps de son sommeil qui avait paru au sceptique n'avoir été que de quelques heures, trois siècles s'étaient écoulés; le Ciel avait fait ce miracle pour montrer aux hommes qu'ils ne doivent point approfondir les paroles de l'Ecriture sainte ni en faire un objet de doute, mais qu'ils doivent y ajouter une foi d'enfant.