La légende de Notre-Dame des Fleurs du mont Saint-Ligier [Baume-les-Dames (Doubs), Paris (Paris)]

Publié le 17 novembre 2023 Thématiques: Bergère , Confession , Fleur , Prêtre | Curé , Prière , Statue , Statue de la Vierge , Vierge ,

Petite bergère déposant des fleurs
Petite bergère déposant des fleurs. Source Dall-E 3
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Source: Thuriet Charles / Traditions populaires du Doubs (1891) (4 minutes)
Lieu: Église Saint-Roch / Paris / Paris / France
Lieu: Notre-Dame des Fleurs (disparue) / Baume-les-Dames / Doubs / France

Au temps de ma jeunesse, on pouvait voir encore
Sur le mont Saint-Ligier, du côté de l'aurore,
Dans le flanc du rocher bordant un vieux chemin,
D'où l'œil avec effroi plonge dans le ravin,
Une niche grillée, abri d'une madone
Qui de fleurs sur le front portait une couronne.
Pour les petits bergers et pour les voyageurs,
C'était, il m'en souvient, Notre-Dame des Fleurs.
D'où peut venir ce nom? Une sainte légende,
Que j'appris autrefois, répond à la demande.

C'était vers le milieu du dernier siècle, autant
Que l'on peut préciser ce point en cet instant.
Tous les jours, on voyait une jeune bergère
Guider vers Saint-Ligier sa chevrette légère,
Et former un bouquet dans sa petite main
Des fleurs qu'elle cueillait le long de son chemin;
Puis, lorsqu'elle passait auprès de l'oratoire,
Voulant faire sans doute une œuvre méritoire,
Aux mailles de la grille elle attachait ses fleurs,
Offrande de parfums et de fraîches couleurs.

Comme elle descendait un soir de la colline,
Quelqu'un lui dit : « Enfant, vous ètes orpheline. »
Sa mère, que toujours elle entendait gémir,
Pour ne plus s'éveiller, venait de s'endormir.
Ah! d'une enfant si jeune, au sort abandonnée,
Savons-nous plaindre assez la triste destinée ?
Dès lors, sur la montagne on ne la revit pas;
Nul ne sut vers quels bords elle porta ses pas;
Mais les dernières fleurs qu'elle avait attachées
Restèrent bien des jours à la grille penchées.
Aux pieds de la madone, on eût dit, à les voir,
Qu'elles pleuraient, ces fleurs, du matin jusqu'au soir.

A quelque temps de là, vingt ans après peut-être,
A Saint-Roch de Paris on vint mander un prêtre,
A l'effet d'assister, dans ses derniers moments,
Une mourante en proie aux plus cruels tourments.
Cette femme habitait une riche demeure;
Mais là, comme partout, la mort entre à son heure;
Parfois, elle interrompt les plus joyeux ébats ;
Car le bruit des plaisirs ne l'intimide pas.

Quelle était, dira-t-on, cette femme du monde,
Si belle hier encore, aujourd'hui moribonde?
Plus d'une fois, sans doute, elle avait raconté
Qu'elle était née au fond de la Franche-Comté;
Qu'elle avait essuyé des fortunes diverses;
Que sa vie avait eu de terribles traverses;
Que son cœur, trop sensible, avait souffert beaucoup,
Et que, bergère, un soir, elle eut grand peur du loup.
N'ayant rien à manger, quand sa mère fut morte,
Elle avait mendié son pain de porte en porte;
Pour gagner quelques sous, elle avait, de ses doigts,
Pilé du grès et fait des balais dans les bois.
Pour un vieux chiffonnier qui lui donnait des croûtes,
Elle allait ramasser les ordures des routes.
Ne pouvant surmonter on ne sait quel dégoût,
Le désespoir un jour la jetait dans l'égout!...
Et comme elle appelait à son secours, un ange,
Sans doute, était venu la tirer de la fange;
Car elle ne sut point le nom de son sauveur,
Et ne revit jamais ce discret bienfaiteur.
Elle avouait qu'aussi, dans le monde lancée,
De plus d'un grand seigneur on la crut fiancée.
Elle avait des chevaux, des valets; sa maison
Ne manquait même pas d'un semblant de blason
Comme on voit ruisseler la lave d'un cratère,
Elle vit à ses pieds couler l'or de la terre;

Au caprice inconstant des volages désirs,
Partout elle courait au devant des plaisirs.
Ce n'étaient jour et nuit que fêtes enivrantes...
Un soir, qu'en un festin les coupes écumantes
S'entre-choquaient aux mains de convives joyeux,
Et que la volupté brillait dans tous les yeux,
Elle chantait..... Soudain une couleur mortelle
Se répand sur son front. On s'empresse autour d'elle.
« Madame ! qu'avez-vous ? Une telle pâleur
Est l'indice certain d'une immense douleur. »
C'en est fait de la joie. Aussitôt on l'emporte;
Sur sa couche étendue on eût dit une morte,
En vain, pour la sauver, à l'art on a recours;
L'art ne peut apporter qu'un impuissant secours.
C'est alors qu'une femme, une pauvre servante,
Que, par dérision, l'on nommait la savante,
Jugeant que sa maîtresse allait bientôt mourir,
A l'église Saint-Roch se hâta de courir.
Quand le prêtre eut gravi les degrés de l'estrade
Du grand lit de velours où gisait la malade,
Elle le regarda d'un œil épouvantė.
« C'est la mort, pensa-t-elle, avec l'éternité !
– Non, dit le prêtre, c'est la vie et l'espérance;
C'est le baume du ciel calmant toute souffrance.
D'avoir offensé Dieu vous vous repentez bien ? »
Elle baissa la tête et ne répondit rien.
Le prêtre insiste. Alors, d'un accent lamentable,
Elle s'écrie: « Hélas! combien je suis coupable!
Dieu ne saurait m'aimer, je l'ai trop oublié !
J'ai toujours fait le mal et n'ai jamais prié.....
– Pauvre âme, dont l'état malheureux se devine,
Ne désespérez point de la bonté divine ;
Croyez au Dieu clément, reprit le confesseur,
Et sa paix va descendre au fond de votre cœur.
Vous n'avez, dites-vous, jamais prié. Peut-être
Aurez-vous autrefois, en quelque lieu champêtre,
De la vierge Marie invoqué le saint nom,
Quand la cloche du soir sonnait l'Angelus? Non,
Fit-elle tristement; mais j'ai bien souvenance
D'avoir avec bonheur, aux jours de mon enfance,
Quand je menais aux champs ma chèvre et son chevreau,
Sur Saint-Ligier, au flanc d'un aride coteau,
Orné de quelques fleurs les mailles d'un grillage
Protégeant dans sa niche une pieuse image.
Que je voudrais revoir, avec mes yeux en pleurs,
Sur le mont Saint-Ligier Notre-Dame des Fleurs !
– Mais c'est elle qui vient, dans sa grâce infinie,
Vous chercher, mon enfant; oh! oui, soyez bénie! »
La dame pour parler fit un suprême effort,
Et Dieu pardonna tout, à l'heure de la mort.


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