En 1572, Longny était loin d'être aussi populeux qu'il l'est aujourd'hui. Autour du vieux château, quelques demeures massives et assez confortables pour l'époque s'élevaient il est vrai, mais plus loin, ce n'étaient que cabanes misérables abritant une population de pauvres gens que faisaient vivre la forêt et les carrières voisines.
Si le plus grand nombre de ces malheureux vivaient dans la stricte observance des lois de l'Eglise, il en était d'autres qui étaient moins scrupuleux et se souciaient fort peu, par exemple, de faire gras les jours défendus, si toutefois on peut appeler gras les aliments que le pauvre de toutes les époques obtient de la charité publique.
A peu de distance d'une modeste fontaine, qu'on voit encore aujourd'hui au milieu du bourg, rue de la chaussée, plusieurs vieilles femmes avaient leur gites. Le vendredi-saint, trois d'entre elles devisaient sur leur misère, sur la solennité du jour, etc., et attendaient avec impatience qu'il soit midi pour rompre le jeûne prescrit. Toutes trois affirmaient à qui mieux mieux leur respect pour les commandements de l'Eglise et cependant chacune d'elles souhaitait du fond de son cœur pouvoir rentrer seule chez soi et n'être point épiée par les deux autres.
Midi allait sonner; prétextant un pressant besoin les trois vieilles coururent à leurs demeures, et, comme si elles s'étaient donné le mot, reparurent presque aussitôt tenant chacune un vase de terre à l'aide duquel elles allèrent puiser de l'eau à la fontaine.
De retour chez elles, elles refermèrent leurs portes avec soin, mais un témoin, que leurs allures intriguaient, s'approchant d'une des cabanes vit, à travers les ais mal joints, l'une de ces femmes mettre le vase de terre au feu et placer dessus des œufs... des œufs le vendredi-saint !... Le curieux indigné prit la fuite. Passant près de la fontaine, il s'arrêta court elle était sèche. Au fond, pas la moindre trace d'humidité. Le bon Dieu, probablement pour punir le vieilles femmes de leur hypocrisie, avait tari la source à laquelle elles avaient puisé l'eau destinée à servir à la cuisson des œufs.
La nouvelle du miracle se répandit rapidement et causa un grand désespoir parmi les pauvres gens des environs; mais comment faire pour remédier au mal?
En vain, l'on fit des recherches pour savoir si la source ne s'était point détournée de son cours habituel; en vain des prières furent faites par des personnes pieuses.
Le curé de Longny consulté recommanda alors une neuvaine. On l'écouta et les prières collectives commencèrent le vendredi, à midi.
Huit jours durant, les pauvres gens du quartier se livrèrent au jeûne et à la prière.
Ils commençaient déjà à désespérer quand, les neuvième jour, quelques minutes seulement avant l'expiration de la neuvaine, ils aperçurent, agenouillée sur le bord de la fontaine, une femme vêtue de noir, qui, la tête dans ses mains, pleurait à chaudes larmes. Chose étrange! Une auréole de feu surmontait sa tête et chacune de ses larmes en tombant dans le trou semblait être une goutte d'or.
Un moment elle releva son visage et montra aux braves gens qui la regardaient, interdits, les doux traits de la reine des anges dont la statue était abritée sous la voûte de N.-D. de Pitié.
Le premier coup de midi sonna; un brouillard épais enveloppa la vierge et la fontaine, et un éclair éblouit les témoins de cette scène sans être suivi d'aucun coup de tonnerre. Ils se jetèrent tous à genoux. Quand ils se relevèrent, la vierge avait disparu et une eau limpide emplissait la fontaine jusqu'aux bords.
Les gens du pays se portèrent en foule sur le lieu du miracle et remercièrent le ciel de leur avoir rendu ce que la mauvaise action des vieilles femmes leur avait fait perdre.
En mémoire des larmes d'or que l'on avait cru voir tomber des yeux de la vierge, le nom de Fontaine d'Or fut donné à la source (elle le porte encore aujourd'hui) et elle fut entourée et couverte d'une construction en maçonnerie.