Le marquis de Rambouillet et le marquis de Précy, tous deux faisant la guerre, comme gentilshommes, tous deux dans l'âge de vingt-cinq à trente ans, et liés d'une étroite amitié, discutant un jour sur les choses de l'autre monde, se promirent aussi l'un à l'autre que le premier des deux qui mourrait viendrait éclairer son ami. Trois mois après, le marquis de Rambouillet partit pour la Flandre, où Louis XIV faisait la guerre. Le marquis de Précy resta à Paris, arrêté par une grosse fièvre. Six semaines plus tard, sur les six heures du matin, il entendit tirer ses rideaux. Il se tourna pour voir qui venait à lui et reconnut le marquis de Rambouillet. Il sauta de son lit et voulut se jeter à son cou, dans la joie que lui causait son retour. Mais Rambouillet, reculant, lui dit :
-Ces caresses ne sont plus de saison. Je ne viens que m'acquitter de la parole que je vous ai donnée. J'ai été tué hier; et je sais maintenant que tout ce qu'on a dit de l'autre monde est très-certain. Je viens donc vous exhorter à vivre autrement que par le passé, et vous dire que vous n'avez pas de temps à perdre, parce que vous aussi vous serez tué dans la première affaire où vous vous trouverez.
Précy s'avança vers son ami, qu'il croyait vouloir l'abuser; mais il ne toucha rien de palpable. Cependant Rambouillet, le voyant incrédule, lui montra à ses reins la plaie qui l'avait tué et qui paraissait saigner encore. Après quoi, il disparut..
Effrayé et consterné, Précy sonna ses domestiques, et toute sa maison accourut; il conta ce qui venait d'avoir lieu, et vit avec peine qu'on attribuait sa vision à la fièvre et qu'on la regardait comme ce que nous appelons une hallucination.
Son aventure bientôt se divulgua. Mais ce ne fut que cinq jours après que la poste arriva de Flandre. On n'avait alors ni chemins de fer, ni télégraphes électriques. Les nouvelles positives confirmèrent ce que Précy avait annoncé, la mort de Rambouillet et sa blessure.
Quoique beaucoup crussent que la vision de Précy pouvait bien être réelle, on s'efforça de lui persuader, par les pressentiments et les sympathies, qu'il n'y avait rien là de surnaturel, et que ce qu'il avait vu n'était qu'un songe qu'il avait fait éveillé. Il paraît qu'on parvint à le rassurer au point qu'il reprit du service; et à la première bataille où il assista, il fut tué, comme son ami l'en avait prévenu.