Voici l'histoire admirable qui est racontée par Raymond-Féraud touchant un fervent pèlerin de Lérins. Je l'emprunte textuellement au livre de l'abbé Alliez sur les îles de Lérins, qui l'a copié dans le poème du troubadour précité.
Un homme simple et droit, nommé Boniface, vivait à Oraison. Son administration peu éclairée le réduisit à un tel état de misère que, ne pouvant vivre de son bien, il se loua à un usurier aveugle et méchant qui avait nom Garinus, pour garder ses pourceaux. Boniface, pendant six années consécutives, avait visité Lérins aux fêtes indiquées. La septième arriva, et il supplia humblement Garinus de lui permettre de se rendre à l'ile pour gagner l'indulgence. Garinus ayant refusé, Boniface, presque désespéré, résolut d'y aller secrètement, puisqu'il ne pouvait se joindre à la troupe des pèlerins; mais Garinus soupçonna son dessein, et le fit enfermer jusqu'au retour de ses concitoyens qui allaient en pèlerinage. Vivement contrarié de ce traitement, Boniface sentit redoubler sa douleur la veille de la Pentecôte. La nuit arrive, il s'endort, mais s'éveillant soudain au milieu des chants qui retentissent à son oreille; il ouvre les yeux, et se trouve devant l'autel de l'église de Lérins. Aussitôt il se lève et assiste à la veille de cette solennité parmi quelques uns de ses compatriotes qu'il a rencontrés.
Quant les divins offices sont terminés, les religieux distribuent d'après l'usage la palme à ceux qui avaient accompli leur septième visite. En présence de ses concitoyens, Boniface vient la recevoir et se retire dans un coin de l'église où le sommeil s'empare de lui. A son réveil, il se retrouve dans sa prison, au même lieu où l'usurier l'avait enfermé.
Les autres pèlerins d'Oraison qui s'étaient trouvés à Lérins avec Boniface arrivèrent trois jours après et, ne sachant point comment les choses s'étaient passées, ils félicitèrent l'aveugle de la bienveillance qu'il avait montrée pour son serviteur. Comme il niait avoir accordé la permission dont ils parlaient, Boniface est amené de prison en présence de son maître qui l'interroge sur le fait que rapportent les pèlerins. Le serviteur raconte ingénument ce qui lui est arrivé. En l'entendant, l'usurier tout ému conjure Boniface de lui donner la palme qu'il a rapportée de Lérins. Dès qu'il l'a entre les mains, il en touche ses yeux, et à l'instant celui qui était aveugle recouvre en même temps la vue de l'âme et celle du corps.