[...] A la lisière de [la lande de Pinieuc] , j'ai connu jadis une petite chaumière en gazon où résidaient deux vieilles et pauvres filles qui gagnaient en filant leur pain de chaque jour. Cette chaumière, aujourd'hui détruite, ne fut pas long-temps habitée, parce que chaque nuit les follets y pénétraient pour y mettre tout en désordre et troubler le repos des deux sœurs. En vain les pauvres filles placardaient sur tous les murs des images de saints, suspendaient à leur lit commun le laurier béni des rameaux, et plaçaient sur les meubles des chapelets et des médailles, rien n'écartait les malins esprits qui se plaisaient dans leur demeure. Un jour enfin les deux sœurs s'avisèrent de bénir à l'eau sainte lit et bahut, table et porte, fenêtre et foyer, quenouilles et fuseaux, chanvres et fils. Rien ne fut oublié dans cette bénédiction générale qui devait tourner à mal pour ces braves filles, car lutter de ruse avec les esprits, c'est folie!

Quand la nuit vint, les follets voulurent comme d'amoi [d'habitude] pénétrer dans ce logis; mais les plus pressés, lancés à l'étourdie, se brûlèrent à l'eau bénițe et reculèrent en hurlant. Furieux de douleur, ces maudits jurèrent la vendetta aux deux sœurs qui, dans leur lit bénit, dormaient et rêvaient tranquillement.

Les follets alors grimpèrent, en se faisant la courte échelle, jusqu'aux gazons du toit, qu'ils jetèrent un à un dans le foyer par la cheminée, et, marchant avec précaution sur ces gazons étendus jusqu'au lit des pauvres filles, ils leur infligèrent une honteuse correction en chantant en chœur : « Tout n'est pas bénit!... tout n'est pas bénit!... tout n'est pas bénit!....