L'origine de la côte Barine de Toul [Toul (Meurthe-et-Moselle)]

Publié le 30 janvier 2025 Thématiques: Animal , Chant du coq , Chute , Coq , Destruction , Diable , Diable défait , Légende chrétienne , Montagne , Nuit , Origine , Reveil du coq , Vengeance ,

La côte Barine
La côte Barine. Source Fortunapost.com
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Source: Pitz, Louis / Contes et légendes de Lorraine (1966) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Côte Barine / Toul / Meurthe-et-Moselle / France
Lieu: Mont Saint-Michel / Toul / Meurthe-et-Moselle / France

Les environs de Toul sont hérissés de collines escarpées, plus ou moins hautes, qui apportent une note originale au milieu du monotone vallonnement du plateau lorrain. L’une des hauteurs s’appelle le mont Saint-Michel. Or, au pied de cette montagnette, se dresse une colline beaucoup plus petite, de forme géométrique presque régulière, tapissée de pampres et piquetée d’échalas : c’est la côte Barine.

Dans des temps très anciens, le mont Saint-Michel était appelé le mont Bar ; mais on ne trouvait nulle part trace de la côte Barine dans les environs de Toul.

Le mont Bar était, à cette époque lointaine, un endroit funeste et très mal famé. En effet, c’était là que se réunissaient toutes les sorcières de la région. Sur le sommet de la montagne se tenait le sabbat, que Satan en personne venait présider. Les sorcières arrivaient, à la tombée de la nuit, de tous les coins de la Lorraine, chevauchant soit un long balai, soit un énorme bouc noir. Elles se livraient en ce lieu à d’innombrables festins, où le crapaud rôti constituait un mets de choix. Au cours des rondes infernales qui leur succédaient, elles poussaient de tels hurlements qu’on les entendait jusqu’au fond de la vallée, et parfois même depuis Toul. Aussi, ces soirs-là, les braves gens apeurés n’osaient-ils point sortir de leur demeure, de peur de rencontrer l’un de ces êtres hideux et malfaisants.

Cependant, Gérard, évêque de Toul, ne pouvait tolérer plus longtemps de telles manifestations à quelques lieues de sa propre cathédrale. Pour empêcher les sorcières de se réunir sur le mont Bar, il songea à consacrer cette montagne à Saint Michel, qui avait déjà mis en déroute les esprits infernaux, et décida qu’elle s’appellerait dorénavant le mont Saint-Michel.

La cérémonie de consécration se fit un dimanche, en grande pompe. Tout le peuple du Toulois avait gravi la montagne maudite pour accompagner son évêque, dont les grands gestes bénisseurs retiraient au diable la possession de ces lieux, les mettant sous la protection du prince des archanges.

Qui fut donc bien attrapé le lendemain ? Ce fut messire Satan et toute sa horde de sorcières, qui n’osèrent plus fouler aux pieds ce sol, désormais protégé par le grand Saint. Aussitôt, les sinistres réunions cessèrent et, pour se retrouver, les sorcières furent obligées d’aller beaucoup plus loin, jusque dans les Vosges, où leurs assemblées étaient encore nombreuses dans les vallées inhabitées.

Pendant une semaine, le Diable, fou de colère, tempêta, jura, vociféra, proféra à l’encontre de l’évêque et des gens du Toulois d’inutiles menaces. Rien n’y faisait. Il était définitivement dépossédé de son fief.

Mais chacun sait que le Malin n’abandonne pas facilement la partie, qu’il ne s’avoue jamais vaincu, et que son esprit est fertile en ruses de toutes sortes.

Il résolut aussitôt de se venger de l’évêque et de lui jouer un tour de sa façon.
— Ah ! maudit évêque ! ricana-t-il. Tu me prends ma montagne ! Mais tu ne la garderas pas longtemps !…
En effet, Satan avait mis au point un formidable plan de vengeance.

Une nuit, pendant que tout était endormi dans la vallée, il escalada la montagne. Sur son dos, il portait une hotte immense que les diablotins, ses esclaves, lui avaient tressée avec de l’osier résistant. À la main, il tenait une pioche et une énorme pelle, dont l’acier avait été trempé au feu même de l’enfer. Satan avait décidé de démolir la montagne et d’en jeter les débris dans la mer.

Arrivé au sommet, Satan se mit au travail. À grands coups de pioche, il entama la croûte superficielle. Son puissant outil s’enfonçait profondément dans le sol encore friable, détachant des quartiers de rochers, des monceaux de terre et de pierraille. Puis, dès qu’il avait démoli un coin de la colline, il jetait, à lourdes pelletées, ces gigantesques décombres dans sa hotte. Il travaillait avec un grand entêtement, puisant dans son désir de vengeance un surcroît de forces. Les coups terribles assénés par son outil emplissaient la vallée de grondements effroyables, comme ceux d’un tremblement de terre.
— Quelle tête va faire l’évêque, demain matin, se dit-il en prenant un court instant de repos, quand il verra que sa montagne a disparu !…

Cette idée suffisait à exciter en lui une volonté fébrile, rageuse, de détruire, de détruire vite tout ce domaine qui ne lui appartenait plus.

Satan avait complètement démoli le sommet. Mais il s’attaquait maintenant à la couche profonde, beaucoup plus dure et plus compacte. Sa pioche, au contact de la roche interne, commençait à s’émousser et le travail allait bien plus lentement, malgré ses efforts inouïs.

Car démolir une montagne, même pour le diable, est une entreprise énorme, gigantesque…

Les heures s’écoulaient. Et Satan, qui croyait en avoir terminé pour minuit, avait à peine rempli sa hotte au tiers environ, quand un long filet blanchâtre à l’horizon indiqua l’approche de l’aurore.

Alors, une hâte fiévreuse s’empara de lui. Il frappait la montagne à coups redoublés, lançait dans sa hotte des pelletées rapides. La sueur ruisselait sur tout son corps. Son haleine, desséchée par l’effort, aurait enflammé un morceau de papier à trois mètres de distance.

Soudain, dans une ferme de la vallée, un coq, plus matinal que les autres, lança son premier cocorico. Un autre lui répondit et bientôt toute la campagne retentit de leurs appels joyeux.

Pressé d’en finir coûte que coûte, le diable se rua sur sa pioche.

Mais ce fut inutile. Car un rayon de soleil, pur et joyeux, jailli des profondeurs de l’horizon, l’atteignit soudain en plein visage. Surpris, ébloui par cette clarté à laquelle il n’était pas accoutumé, le diable laissa tomber son outil, clignant des yeux, aveuglé comme une chauve-souris réveillée au milieu de l’après-midi. Au même instant, les cloches de la cathédrale de Toul égrenèrent les premières notes de l’Angélus.

Satan, la rage au cœur, comprit qu’il s’était laissé surprendre. Son règne était fini. Il ne lui restait plus qu’à fuir en toute hâte.

Alors, sans perdre une seconde, il s’attacha au dos la lourde hotte, chargée des débris de la montagne, et, aussi vite que ses longues jambes pouvaient le porter, il dévala la pente.

Hélas ! en arrivant au pied de la montagne, emporté par son élan, il trébucha sur un échalas et, de tout son long, il s’aplatit sur le sol rocailleux. Avec un grondement de tonnerre, sa hotte déversa aussitôt l’invraisemblable monceau de décombres qu’il y avait accumulés.

Tout penaud, une énorme bosse au front, les genoux et les mains écorchés, Satan se releva, puis, sans demander son reste, sans prendre le temps de ramasser sa hotte, il s’enfuit.

Ainsi, le contenu de la monstrueuse hotte du diable, renversée là, donna naissance à la côte Barine.


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